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draient-ils, me disait naïvement un cultivateur, si nous les invoquons dans une langue qu’ils ne parlaient pas ? » Confiance, bonnes gens ! Vos morts continueront à vous entendre. Ils ont dû tressaillir d’aise, quand des fils dévoués, honteux du discrédit qui pesait sur leur mère, allèrent chercher dans les salles d’auberge où elle traînait sa lamentable vieillesse l’auguste, la sainte tragédie bretonne, et l’amenèrent par la main, rajeunie, purifiée, plus belle que jamais, au grand jour de la place publique. L’idée bretonne n’est pas née à Ploujean. Mais, si elle avait jeté des racines en bien des âmes, c’est là qu’elle s’est épanouie magiquement, triomphalement, dans je ne sais quelle irrésistible poussée de sève collective. Aucun de ceux qui collaborèrent à cette belle manifestation ne couvait de sentimens séparatistes, mais tous auraient pu prendre pour devise les fortes paroles que Michelet adressait un jour à Guillaume Le Jean : « L’important, c’est d’être Français, sans cesser jamais d’être Breton. »

V

Une étude à peu près complète de la question celtique ne saurait laisser de côté les grandes communautés que l’émigration a créées hors d’Europe et dont l’une au moins, la communauté irlandaise, passe en importance la communauté dont elle est issue.

Seule, l’émigration bretonne se porte toute vers les grandes villes de l’intérieur. L’anémie fauche une moitié des émigrans ; l’alcool empoisonne le reste. Il fallait dériver vers nos colonies de peuplement ce fleuve de terrassiers et de manœuvres. Râblés, durs à la peine, ils eussent fait merveille dans les pays neufs, comme jadis dans la Maduga, la Louisiane, le Canada.

Ce sont les Écossais qui les ont remplacés au Canada. Mais ils ont essaimé aussi à Ceylan, en Australie, en Tasmanie, dans le Far-West, etc. Leurs établissemens principaux sont échelonnés sur les bords du Saugeen, au cap Breton, dans le comté de Picton, dans l’île du Prince-Edouard, etc.[1]. Une partie de ces émigrans

  1. Le R. Mosson, dans une communication récente à la Société gaélique d’Inverness, rapporte qu’il a prêché en gaélique dans ces diverses colonies higlandaises du Canada. Mais où sa surprise passa toutes les bornes, c’est quand il fit la rencontre d’un établissement de « Celtes noirs. » Après enquête, ces Celtes faux teint étaient les descendans d’esclaves qui avaient appartenu à des Gaëls d’Écosse et avaient adopté la religion et la langue de leurs anciens maîtres.