Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paraîtrait dériver exactement des besoins de la vie moderne, comme fait une gare de chemin de fer, il ne faudrait pas en conclure nécessairement qu’elle est belle. Une forme peut être nouvelle à la fois et belle. Mais elle peut être nouvelle, exactement appropriée à un besoin moderne, représentative d’une foule d’idées philosophiques, — et laide, sans plus. Dans les deux cas, ce dont il faut se méfier, c’est l’abus du raisonnement. Ce qu’il faut suivre, c’est l’impression esthétique, et non pas ce que cette impression a de surtout intellectuel, comme l’association des idées, mais ce qu’elle a de surtout sensible, comme l’association des formes dans le milieu ambiant. Ce qu’il faut en croire surtout, ce sont les yeux.

Or, ce qui provoque d’abord l’admiration des yeux, ce n’est pas une notion intellectuelle, l’idée de l’appropriation à un usage, l’idée de signification structurale, ni même l’idée de stabilité : c’est l’élégance, le rythme, la silhouette totale, apparue ; c’est, si l’on peut ainsi dire, la tache heureuse que fait un monument sur la ville et sur le ciel.

Nous disons sa « tache, » et non pas son aspect linéaire. C’est qu’en effet, dans nombre de cas, cet aspect ne se perçoit point et qu’il est même assez rare de voir un monument, dans la rue, tel qu’il se présente sur un lavis en « géométral. » Beaucoup de chefs-d’œuvre de l’ancienne architecture sont pris dans une gangue de bâtisses, d’où ne sort qu’un morceau du joyau à facettes que les maîtres maçons du moyen âge ont taillé. Telles étaient autrefois ou telles sont encore les cathédrales de Narbonne, de Laon, les églises de Notre-Dame du Puy, de Saint-Nicolas-du-Port, près Nancy, et, il y a peu de temps, avant la construction du quai sur la rivière, Saint-Front, de Périgueux, l’église de la Charité-sur-Loire ; telle on voit représentée, dans les gravures du XVIIe siècle, Notre Dame-la-Grande, de Poitiers, entre les maisons qui suspendaient leurs toits à ses murs comme des enfans se suspendent aux jupes de leur mère. — Aujourd’hui, pour d’autres raisons, il en est de même. L’étroitesse des rues qui débouchent sur un monument, le défaut du recul nécessaire pour le contempler, le flot de la foule qui noie son pied, les arbres qui masquent son soubassement, ou bien, si l’on s’éloigne, l’oppression des toits qui l’environnent et parfois le dominent, ne le laissant presque jamais se profiler sur un fond uni, — tout cela fait qu’un édifice une fois construit n’a plus la beauté logique