Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enseignée dans les écoles, et que personne n’a jamais vu, en réalité, dans la vie, un monument comme on le voit dans un album de Du Cerceau. On ne voit qu’une silhouette, à demi cachée, à demi émergeante d’un relief au milieu du paysage de pierres, — une tache.

Si cette tache est heureuse, quel que soit le défaut du reste, tout est excusable. Mais, si elle ne l’est pas, si, aux yeux, les lignes principales sont lourdes ou étriquées, ou monotones, vainement prouvera-t-on que l’édifice est solide, approprié à sa destination, révélateur de sa fonction, plein d’idées ; il pourra plaire à l’esprit, il ne plaira pas aux yeux.

A l’inverse, il peut être archaïque, exotique, mal approprié au sol et au ciel ; il peut, vu de son pied, n’offrir que des profils tristes, des reliefs masqués les uns par les autres, et pourtant, s’il est contemplé de loin, produire sur la ville et dans le ciel une tache heureuse, une apparition révélatrice. Le Sacré-Cœur de Montmartre nous en donne un exemple. Peu de projets furent assaillis de critiques plus vives, plus unanimes, plus légitimes. D’abord, cette église n’était guère qu’une coupole, sans une nef qui y conduisît. D’en bas, on ne pouvait apercevoir sa façade, mais seulement son porche, — ce qui ne donnait l’idée que d’une grande chapelle. Il n’y avait point de lumière au dedans, et point d’ombres, accusant les reliefs, au dehors. D’ailleurs, pourquoi cet art exotique et vieillot du « Bas-Empire ? » Pourquoi, sur la Ville Lumière, ce pastiche énorme d’une obscure bâtisse de Périgueux ? Toutes ces critiques semblaient très justes, et je ne dis pas que, si l’on va regarder le colosse de près ou du bas de la Butte, elles sonnent faux ; mais, puisqu’on le voit de tant de points différens de Paris, de l’avenue Montaigne comme de la rue Solférino, des boulevards comme du haut de Meudon, c’est sans doute son effet lointain et total qu’il faut considérer. Or, cet effet est une révélation. On ne voit plus, au-dessus de la montagne de maisons grises, qu’un léger nuage blanc et violet, nuage d’où ne tombe nul orage, mais, seul et rare, le grondement d’une cloche. Le critique ne perçoit, si bien qu’il regarde, qu’un floconnement de coupoles qui assaillent le ciel, l’une montant sur l’autre, la dernière enfin atteignant son but, et recouvrant tout de sa splendeur. Bien au-dessus des coupoles de la contemplation et de la guerre, au-dessus des observatoires fixés sur les terres, et des tourelles errantes sur les mers où se cachent les plus prodigieux