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devant elle, c’est à lui qu’elle se plaint, qu’elle crie son désespoir. Mais, quand, à ses confidences éperdues, il répond :

— Veux-tu être ma femme, Irène ?

Sa fierté se révolte, elle riposte durement :

— Je n’accepte pas d’aumônes.

Elle le regarde s’éloigner en murmurant :

— Il n’a pas compris.

Ici, il faudrait citer tout entier le dernier acte, qui n’est d’ailleurs qu’une longue scène où, comme je l’ai dit plus haut, le drame passe et se dénoue entre les lignes, à la fois inexprimé et parfaitement clair. Au point où l’on est, Nennele paraît la victime des siens. Elle ne peut plus vivre dans leur air. Jusqu’à présent, elle croyait en son père : lâchement, il lui a retiré la direction du ménage, pour laisser à Giulia la liberté du gaspillage ; et elle a compris, — en l’exagérant dans son imagination blessée, — la coupable faiblesse de cet homme craintif et bon. Elle a repoussé son unique appui, dans un mouvement d’orgueil qu’elle aurait bien vite abdiqué, si Massimo l’avait deviné, s’il était revenu. Elle l’a attendu. La soirée a fini sans qu’il reparaisse. Elle est désespérée, et la rivière coule à deux pas, derrière le verger, si froide, dit-on, que la mort est immédiate. Donc, Nennele mourra. Mais, dans la chambre qu’il lui faut traverser pour sortir, son père veille, comme toutes les nuits, sans qu’elle le sache, faisant pour les siens l’unique effort dont il est capable : travaillant, abattant des besognes supplémentaires qui leur vaudront un peu plus d’aisance. Elle explique qu’elle ne dormait pas, qu’elle allait prendre l’air. Le père et la fille s’interrogent : elle comprend le trésor de dévouement que le pauvre homme n’a jamais su montrer ; il comprend qu’elle allait mourir. Je cite :

GIOVANNI. — Tu n’es pas une vagabonde, tu ne fuis pas pour courir le monde... Tu fuyais... pour... (Longue pause.) Tu faisais cela ? Toi, Nennele § Tu as pu concevoir, tu as pu accueillir cette idée monstrueuse ? Tu as traversé cette chambre, tu m’as vu, et tu serais sortie de cette maison, où je suis, et tu serais... Et, demain, je m’en serais allé, criant comme un fou, à la recherche de ma fille, ou, cette nuit même, on t’aurait apportée là, on m’aurait appelé... Je t’aurais vue... là.., sans vie..., ma Nennele, ma Nennele §... Pourquoi ? Pourquoi ?... Qu’est-il arrivé ? ... Il faut que je le sache... Mourir ! ... Que t’ai-je fait ? Que t’ont fait les autres ? Qu’est-ce qu’il y a donc que j’ignore encore dans ma maison ?

NENNELE. — J’étais folle, j’étais folle, ne me demande rien, j’étais folle.