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majorité y était contraire sans l’oser dire ; quelques-uns pourtant ne cachaient pas leur désapprobation et formèrent ainsi, parmi les candidats officiels, une opposition composée de cléricaux et de protectionnistes qui se rangea en arrière-garde à côté des candidats indépendans, Plichon, Brame, etc., également cléricaux et protectionnistes.

Morny sentit le changement et comprit le péril avant qu’il se manifestât : si nous nous unissions à ces dissidens encore gênés par leur origine, nous leur donnerions beaucoup de force en accroissant la nôtre. Il essaya de nous amadouer dans son discours d’inauguration, espérant au moins maintenir séparées les deux oppositions et les paralyser par leurs divergences. Il ne pouvait nous promettre la liberté politique, mais il Nous la laissa entrevoir : « Il n’y a de vraie prospérité qu’avec une entière liberté civile, et si notre pays n’a jamais pu se servir avec modération de la liberté politique, c’est qu’il n’avait pas commencé par les bienfaits de la première. » Il se prononça contre les passions cléricales, afin de nous plaire et plus encore à ceux qui nous soutenaient au dehors : « Lorsque le peuple n’a devant lui que le pasteur humble et charitable qui lui traduit la morale sublime de l’Evangile, cette douce civilisation du cœur, prêchant l’amour du prochain, le pardon des injures, le détachement des biens terrestres, alors sa foi se fortifie. Mais, lorsque le prêtre sort de son caractère, emprunte des armes mondaines et empiète sur les intérêts civils et politiques, soudain la susceptibilité gallicane se réveille et l’esprit religieux perd tout ce que gagne l’esprit d’indépendance civile et politique qui fait le fond de l’opinion du pays. » Enfin il dit à Darimon, le seul d’entre nous avec lequel il entrait en propos : « Priez vos amis de ne pas trop me tracasser sur le règlement d’ici à la fin de la session. Je prépare de profondes modifications au régime de la Chambre, dont je m’efforce d’accroître les prérogatives. Je veux arriver à la sténographie pour les comptes rendus, faire revivre le droit d’amendement et, si je le puis, le droit d’interpellation. Je ne voudrais pas qu’on m’objectât qu’on ne peut pas céder à la pression de l’opposition. Que vos amis se tiennent tranquilles, surtout Ollivier, qui entre dans les débats comme un bœuf dans la boutique d’un faïencier ; les réclamations viendront d’ailleurs. »

Les avances libérales de Morny nous parurent trop vagues pour en tenir compte, si ce n’est en témoignant plus de courtoisie