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Son début le montre ce qu’il fut toujours. Je ne sais comment il était devenu le rédacteur en chef d’un journal à Alger ; le journal avait été supprimé à cause d’attaques contre l’administration militaire. Arrivé à Paris il apprend que le Courrier de Paris est en vente. Il n’a pas le sou, néanmoins il se présente pour l’acheter ; le prix est 50 000 francs. Il offre de payer en traites, il s’y prend si habilement qu’on y consent ; restait à se procurer les 40 francs pour le papier sur lequel ces traites devaient être souscrites ; il les trouve en vendant de vieux bouquins et de vieux habits ; Jules Ferry et Roulleaux donnent leur collaboration gratis, et le journal s’avance fièrement dans les mêmes eaux où nous ramions à la Chambre. Un premier avertissement le frappa pour un article de Roulleaux sur les coalitions, mais ce fut surtout par manque d’abonnés et de capital qu’il succomba. Bien entendu, les traites ne furent pas payées, et Duvernois se mit à pérégriner à travers les journaux, vivant au jour le jour. Il disparut pour un temps de notre horizon.

Un autre astre errant s’y montrait. C’était un Roumain, Gregory Ganesco, tombé à Paris pour y chercher fortune, ne doutant de rien, enfonçant toutes les portes sans se décourager des rebuts, passant sans se déconcerter de l’outrecuidance à la platitude. Il acquit un journal hebdomadaire, le Courrier du Dimanche. Il vint me voir, m’offrit son concours et demanda à Darimon sa collaboration. En même temps, il racolait tous les ennemis du régime impérial, légitimistes, orléanistes, républicains, socialistes, Morin, Chaudey, Assolant, Hervé, Weiss, Sarcey, etc. Il réunit ainsi une rédaction tout à fait remarquable. Chaque numéro contenait un article à sensation. Le bureau du journal devint une espèce de cercle politique où, au milieu des lazzis et des dissertations, hommes et choses de l’Empire étaient déchirés. On y riait aux éclats, quand on y rapportait des propos tels que ceux d’un vieil orléaniste : « Il ne se trouvera donc pas un jeune homme sans position pour nous débarrasser de ce misérable ! » On apprit un jour l’accident de voiture arrivé à l’Impératrice près de Neuchâtel ; deux personnes de la suite avaient été légèrement blessées. « Quelle famille ! s’écria l’enragé, elle ne peut aller nulle part sans laisser dos traces de sang ! » Notre opposition était jugée tiède ; pourquoi ne nous étions-nous pas encore fait expulser comme Manuel ? Nous n’essayâmes pas de nous introduire dans ce cénacle, et nous ne nous en serions pas plus préoccupés que du Journal des Débats,