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d’ironies hypocrites le fatiguaient : « Oui, s’écriait-il, je le connais, cet art misérable, et j’en use quand il faut, en pleine conscience, mais j’en sens tout le poids, et ceux qui me louent de l’avoir pratiqué avec quelque succès ne sauront jamais combien je le dédaigne, combien j’aurais voulu naître dans un temps qui me permît de l’ignorer. » Impatient d’agir, il désirait le pouvoir, la richesse, mais, pour les obtenir, il n’eût pas fait le moindre sacrifice, je ne dis pas d’honneur, mais de délicatesse, et il méprisait fort cet Asinius Pollion qui, au dire de Tacite, considérait la pauvreté comme le pire des maux. Paupertatem præcipuum malorum credebat.

Il accordait beaucoup à l’amitié, et cependant elle n’obtint jamais rien de son indépendance et encore moins de sa loyauté. Thiers et Mignet s’étaient faits ses amis, ses admirateurs, ses patrons ; il était l’idole, la gloire, le sourire des salons orléanistes ; à aucun moment, il n’a rien concédé aux uns ou aux autres de ce qu’il ne croyait pas juste ou sincère. Il donnait ses ailes à leurs griefs, à leurs lamentations tant qu’il les croyait justifiés ; il ne les suivait pas dans leurs fureurs aveugles. Après avoir critiqué, par exemple, ce qui lui paraissait indécis et contradictoire dans la conduite de l’Empereur à l’égard de Rome, au lieu de le vouer aux dieux infernaux, il le plaignait, ce qui, devant son monde, était une manière de le défendre : « Il est impossible de contenter une partie de la nation sans mécontenter profondément l’autre ; c’est la faute de nos divisions plus que de sa politique, et il n’est pas un de nous qui n’éprouvât le même embarras, s’il pouvait trancher la question d’une parole[1]. »

Il exista toujours entre lui et ses amis un dissentiment fondamental, insaisissable à l’origine, si ce n’est pour les esprits attentifs, et qui, par momens, éclatait pour s’assoupir encore jusqu’à ce qu’il devînt inconciliable. Ses amis, adversaires acharnés de l’Empire, ne trouvant de salut, les uns que dans la république, les autres que dans l’une de nos monarchies, étaient décidés, quoi que fît l’Empereur, à n’être pas satisfaits ; à demander toujours plus, même jusqu’à l’impossible ; et à ne se servir du peu ou beaucoup accordé que pour mieux travailler à l’œuvre de renversement. L’Union libérale, machine de guerre subversive, ne devait être que le recommencement de la coalition organisée au nom

  1. Courrier du Dimanche, 10 mars 1861.