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jour plus absorbante, et la distraction ne tarda pas à devenir presque une affaire d’État, dans tous les cas une affaire de Cour. Chambellans et dames d’honneur se mirent à disserter de l’histoire romaine et de Catilina autant que de Garibaldi ou de Cavour. L’Impératrice se déclarait contre Catilina, l’Empereur pour ; une galère romaine était exposée dans la chambre du Conseil ; dans le parc de Saint-Cloud, on faisait des expériences de tirs de javelot avec des catapultes que l’Empereur montrait au maréchal Vaillant ; il priait le maréchal Castellane de l’aider à trouver la marche de l’Écluse au Rhône ; chercher le véritable emplacement d’Alésia l’occupait autant que résoudre la question romaine.

L’Empereur avait besoin d’auxiliaires, n’étant pas assez bon latiniste pour lire les textes sans une traduction en regard. Il reçut cet auxiliaire des mains de Mme Hortense Cornu. Cette personne, qui l’a côtoyé toute sa vie, était la fille de Mme Lacroix, femme de chambre de la reine Hortense. Les deux enfans avaient joué ensemble à Augsbourg, à Arenenberg, et la jeune fille, âgée d’un an de moins que le prince, avait été associée à ses études ; elle avait obtenu la protection amicale de la princesse Stéphanie de Bade, s’était glissée dans des relations assez familières avec les Hohenzollern, enfin, à Rome, avait épousé un élève estimable d’Ingres, Sébastien Cornu.

Dans sa jeunesse, paraît-il, sa physionomie était vive, fine, séduisante ; quand je l’ai connue, il n’y avait plus de séduisant en elle que sa conversation animée, nourrie de savoir ; elle était bossue, avec les yeux hors de la tête, la voix aigre, la langue enfiellée, en tout semblable à une des sorcières de Macbeth. Mais elle n’avait pas dit au prince : « Tu seras roi ; » elle ne le voulait que président de la république. Tant qu’il parut travailler à la réalisation de cette prophétie, elle lui fut très dévouée. Pendant la captivité de Ham, elle lui procura des livres, alla dans les bibliothèques prendre des notes pour ses travaux, le mit en relations avec les hommes marquans du parti démocratique. Elle rompit avec l’Empereur, s’entoura de ses ennemis, fit de sa maison une officine de calomnies, qui se répandirent dans le monde et dont beaucoup ne sont pas encore effacées : il était médiocre, disait-elle, jaloux, rancunier, faux, que sais-je encore ? Si elle finissait par lui reconnaître quelques qualités, ce n’était pas ce qu’on répétait ; et personne n’a plus qu’elle contribué à donner aux contemporains et à l’histoire une fausse opinion du véritable caractère