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même que l’on avait conçues, durant quelques semaines, sur le succès définitif de l’expédition, avaient peu à peu développé cette idée, dans le public et jusque dans le gouvernement même, que puisque aussi bien l’on avait tant fait, autant valait profiter de l’événement pour rendre plus étroite la dépendance de Madagascar à l’égard de la France, et enlever du premier projet de traité diverses dispositions qui laissaient aux Hovas trop de facilités pour se considérer comme les égaux de leurs vainqueurs. De plus, il faut bien le reconnaître, la formule du protectorat, malgré les bienfaisans résultats que son application a produits en Tunisie, ne jouissait pas parmi nos publicistes d’une faveur excessive : elle n’est point assez simple pour les exigences logiques et quelque peu impérieuses de notre esprit national ; elle implique le maintien des conventions diplomatiques conclues par l’Etat protégé avec des tierces puissances avant l’établissement du protectorat, et l’on pouvait invoquer l’exemple de la Tunisie elle-même pour montrer que les privilèges des étrangers en matière de juridiction, de concessions ou de commerce survivent à cet établissement[1]. A quoi bon, disait-on, avoir dépensé près d’une centaine de millions, et vu périr, de maladies il est vrai plus que de faits de guerre, plusieurs milliers de nos soldats, si demain notre domination doit être aussi précaire qu’hier, notre commerce aussi peu protégé contre la concurrence étrangère, nos nationaux établis dans l’île aussi exposés aux intrigues de leurs rivaux européens ? Il n’y a point de proportion entre l’effort accompli et le but atteint, si l’on s’en tient aux instructions originelles du général Duchesne, d’autant que, lui et ses troupes partis de Madagascar, rien ne dit que les Malgaches seront plus scrupuleux que devant à tenir leurs engagemens ; tout fait croire, au contraire, qu’il faudra périodiquement avec eux recommencer un nouvel effort pour les faire obéir.

De là, dès le 18 septembre 1895, des ordres complémentaires envoyés par la voie rapide au général Duchesne : on lui commandait d’alléger la convention dont il était porteur, notamment des articles où le gouvernement de la République s’engageait à

  1. On sait que c’est en 1897 seulement, quinze ans après la conquête, et à la suite de très laborieuses négociations, que les divers traités de ce genre conclu par la Tunisie avec les grandes puissances européennes ont pu être révisés et permettre d’accorder un régime de faveur au commerce français. Encore a-t-il fallu faire à ces puissances quelques concessions transitoires pour leur arracher cette solution.