Et ne ressent-on pas une impression salutaire de constater qu’il a pu, sans intrigue, réussir de tant de manières, par la seule puissance du talent, de la probité intellectuelle, par un concours harmonieux de facultés auxquelles président le tact et l’impartialité ? Tel est, en effet, le secret de son prestige. Qu’il ait de l’esprit, un esprit très fin, malicieux même, d’autres en eurent autant et plus que lui ; qu’il brille par le sens des idées générales, la clarté et la méthode d’exposition, l’art d’écrire des rapports qui émerveillaient les Chambres, les ministres, qu’il compose des ouvrages d’histoire d’une piquante originalité, il a trouvé là aussi des rivaux et des maîtres. Mais ce qu’on vit rarement réunis à ce point dans la même personne, c’est la grâce, la délicatesse de l’âme, la douceur avec les choses et les personnes, l’aptitude à créer pour soi et pour les autres du bonheur, c’est le tact, l’impartialité.
« Je défie Barante, avec tout son esprit, de parvenir à se faire un ennemi. » Ce mot de Talleyrand renferme un éloge et une vérité. Il n’eut peut-être pas un ennemi, il eut de nombreux amis, des amis à toute épreuve ; ses dons innés, ses vertus d’expérience lui apprirent que l’amitié, même entre des esprits d’élite, vit de déférences et d’attentions, que les amours-propres sont sans cesse à l’affût de ce qui peut les satisfaire et les blesser. Voilà pourquoi il demeure un de ces personnages sympathiques, aussi nécessaires sur la vaste scène du monde qu’au théâtre ou dans le roman, sur lesquels le cœur, le jugement se reposent doucement, qui contribuent à faire aimer et durer la classe sociale à laquelle ils appartiennent, la fonction qu’ils occupent, le gouvernement qu’ils servent ; c’est pourquoi il faut savoir gré à son petit-fils d’avoir réuni, avec un soin pieux, ses Mémoires et sa correspondance : j’essaierai de les résumer brièvement[1].
Né à Riom, en 1782, sorti d’une famille de robe, où depuis cent cinquante ans l’esprit et le culte des lettres étaient héréditaires, Amable-Guillaume-Prosper Brugière de Barante avait reçu une excellente éducation de ses parens : son père composa pour lui et ses frères une grammaire raisonnée extraite de Dumarsais,
- ↑ Les Souvenirs du baron de Barante comprennent huit volumes ; sept ont déjà paru chez l’éditeur Calmann Lévy. Les Mémoires proprement dits n’occupent guère qu’un volume et demi ; le reste est consacré à la correspondance politique ou privée. M. Claude de Barante a divisé cette correspondance en un certain nombre de chapitres, et placé au début de chaque chapitre un sommaire des principaux événemens accomplis entre les dates qui forment les titres.