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avancement, se reprocha de l’accepter, se rappelant que les premiers évêque s’regardaient comme un adultère de changer d’église. « Je ne retrouverai pas ailleurs, écrit-il à Mme de Barante, cette bienveillance, cette facilité à obtenir la confiance de tous. Ce n’est pas dans une ville de soixante mille habitans qu’on est connu et apprécié. Dans la Vendée, j’avais journellement des rapports avec qui que ce soit. Un ouvrier, un paysan trouvait toujours ma porte ouverte. J’avais le loisir de parler avec lui, de m’occuper de son affaire. »

Sa modestie le rendit mauvais prophète : il obtint à Nantes l’affection, la popularité, parce qu’il y apportait sa justice, son humanité, sa modération, son amour du bien public. Et cependant, les rigueurs de la conscription amènent des rassemblemens, des mutineries, la situation devient de plus en plus pénible pour les administrateurs, à mesure que l’étranger se rapproche davantage de Paris. Parfois on passe une semaine sans aucune nouvelle. Enfin, des voyageurs annoncent le rétablissement des Bourbons ; puis viennent des dépêches du nouveau gouvernement, et, en même temps, des dépêches du ministère impérial, qui siégeait encore à Blois, près de Marie-Louise. On remit aussi à Barante des lettres de ses amis Mounier et Anglès ; l’une d’elles portait : « Nous allons avoir une Constitution libre, avec un Bourbon pour roi ; une nouvelle charte et une vieille dynastie, ce sont deux avantages bien rares à rencontrer réunis. L’empereur Napoléon, abandonné de la meilleure partie de ses troupes, erre dans la forêt de Fontainebleau. Ainsi, d’un côté, un homme, de l’autre, son pays ; votre choix ne sera pas plus douteux que le nôtre. Nous vous envoyons quelqu’un pour vous porter nos lettres ; envoyez-nous bientôt l’adhésion de Nantes. Quel bonheur de pouvoir s’écrire ce qu’on sent et ce qu’on pense, et de songer à la fin de cette destruction systématique de l’espèce humaine ! Concevez-vous qu’on ait fait tuer cinq millions d’hommes, et qu’on n’ait pas le cœur de se tuer soi-même ? »

Fut-il jamais position plus critique pour un préfet ? D’une part, un certain nombre de Vendéens enrôlés, inscrits, armés, prêts à marcher à l’appel du comte de Suzannet (prendre un fusil était alors encore une manière d’exprimer sa pensée en Vendée ;) d’autre part, les habitans de Nantes partagés entre leur mécontentement du régime impérial et leur haine des royalistes ; une fausse démarche pouvait donner le signal de la guerre civile.