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vainqueur, souvent méconnu ou persécuté, toujours debout, protestant au nom de la vérité contre les bassesses et les grossièretés du nombre, donnant pour ainsi dire des ailes à l’humanité, qui, grâce à lui, s’évade de sa petite prison matérielle et conquiert des empires dans l’infini.

Tout autre apparaît la physionomie de cette duchesse de Dino qui, vingt-trois ans et plus, fit les honneurs du salon de Talleyrand à Paris, à Londres, au château de Valençay. Une grande dame du XVIIIe siècle, unissant à la grâce de la Parisienne le charme étrange et enveloppant de la femme slave, toujours originale dans ses passions et ses préjugés, dans sa façon de parler et d’écrire, adonnée à tous les sports, cherchant à satisfaire de mille manières sa forte volonté. Une imagination fort vive, un jugement très sensé, l’activité la plus pratique, un caractère positif, le tout servi par une conversation habile, pleine de tact, qui doublait l’attrait des réceptions du prince : une sorte de princesse des Ursins du XIXe siècle, mais qui n’eut pas la bonne fortune de gouverner un roi et une reine pendant quatorze ans. Talleyrand l’avait mariée à son neveu Edmond de Périgord, et si grande était son affection qu’il voulut qu’elle l’accompagnât au Congrès de Vienne, où sa beauté, son esprit, son élégance, ses liens de parenté avec nombre de ministres et généraux des alliés, firent merveille. Agée de vingt ans à peine en 1814, elle possédait déjà les vertus théologales de la diplomatie, l’art d’écouter, d’insinuer sa pensée en ayant l’air de se placer au point de vue de l’interlocuteur, et de parler dans son intérêt. C’est elle qui, plus tard, prépara Talleyrand à se réconcilier avec l’Église, entreprise peu facile après un tel passé. « L’impiété, lui dit-elle un jour, est la plus grande des indiscrétions. — Il est vrai, reprit-il après un instant de réflexion, qu’il n’y a pas de sentiment moins aristocratique que l’incrédulité. » Née en 1795, fille du dernier duc de Courlande, compagne de jeu et d’études des enfans du roi de Prusse, elle s’appela successivement comtesse de Talleyrand-Périgord, duchesse de Dino, duchesse de Talleyrand, et enfin duchesse de Sagan, lorsqu’elle entra en possession de ce domaine de sa famille qui, en Silésie, conservait le caractère de la grande féodalité, où elle recevait parfois le roi Frédéric-Guillaume IV : dans la dernière partir de sa vie, elle partagea son temps entre cette résidence et notre pays, où l’attiraient sa fille mariée au fils du maréchal de Castellane, sa