m’en croyais privée pour ce monde, je l’ajournerais volontiers en toute croyance à un meilleur monde. » On prétendait que les hôtes de Broglie avaient institué une foule de règles et d’observances austères. « Pour toute pratique, répond Barante (10 août 1828), il y a, un quart d’heure avant déjeuner, une prière en commun, et encore ne le saurait-on pas, si on ne me l’avait pas dit... Les matinées s’arrangent pour le mieux. On déjeune à onze heures, on remonte vers une heure, puis chacun va chez soi, et cause de chambre en chambre jusqu’à cinq heures, où l’on se promène. Le soir, quand on ne traite pas de sujets tout à fait élevés, il y a peut-être moins d’entrain, et l’on ne dépasse guère dix heures... Le calme du château s’étend sur les enfans ; ils font tranquillement ce qu’ils ont à faire ; on n’entend jamais parler d’eux, ils ne sont pas bruyans, ils ont l’air grave... Mme de Broglie, comme les personnes qui ont éprouvé un grand malheur, a un vif penchant pour l’inquiétude, qui lui était naturelle même auparavant. En outre, ses sentimens intérieurs sont une cause toujours subsistante d’agitation. Mais tout cela est maintenant docile, et il faut la connaître beaucoup pour ne la point juger parfaitement sereine. Entre le sérieux de M. de Broglie et le travail de Mme de Broglie sur elle-même, la vie pourrait peut-être sembler monastique au vulgaire. Mais le bonheur, même à mon âge, est fait de ces élémens mêmes. Être content est encore chose possible ; être amusé est chose fort difficile. La distraction ne prend plus ; toutes les petites impressions sont usées, il n’y a presque plus rien de nouveau ; mais aussi l’habitude devient une extrême douceur, et l’on se repose avec plaisir sur des sentimens naturels, tranquilles, mêlés de souvenirs, pleins de certitude. »
Certes tout ceci ne ressemble guère au train bruyant de certains châteaux fin de siècle. Et toutefois l’on est tenté de renvoyer à ces fortes existences ceux qui nient la vertu, le devoir, pour n’avoir regardé ni assez longtemps, ni du côté où il fallait regarder. Dieu merci ! de génération en génération, les grandes âmes se transmettent éternellement le précieux héritage moral, se rejoignent à travers les siècles dans une parenté mystique ; elles s’engendrent par des lois inconnues, mais sublimes, et forment en quelque sorte le faisceau de la conscience humaine. Chez tous les peuples, dans toutes les classes de la société, dans toutes les religions, dans l’antiquité et le monde moderne, hier, aujourd’hui, demain, on retrouvera ce parti de l’idéal, rarement