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qu’on les laissait aller sans armes, en quelque sorte, au plus aventureux, au plus meurtrier des combats.

— Parbleu ! disaient autour de lui les pères, hommes rudes, tannés, au moral comme au physique, par l’embrun, — ils feront ce que nous avons fait.

Une antique routine, en effet, transmise d’âge en âge, présidait seule, jusqu’en ces derniers temps, aux destinées des pêcheurs de nos côtes. C’était l’opinion courante, que, pour le plus difficile et le plus dangereux des arts, il n’était besoin d’aucun rudiment. Il y fallait uniquement de la race, une expérience péniblement acquise et le souverain mépris de la mort. M. Gaillard ne craignit pas d’entrer en lutte avec le préjugé. Il commença par démontrer aux marins parmi lesquels il vivait qu’ils ignoraient de leur métier les préceptes les plus essentiels et, sans se laisser décourager par leurs sourires, leurs haussemens d’épaules, il se mêla de les leur apprendre.

L’humble maître d’école s’était rendu compte que des temps nouveaux exigeaient des méthodes nouvelles. Ce ne sont pas seulement les conditions du travail terrestre qui ont changé dans le cours de ce siècle. La pêche elle-même a subi la loi commune et des modifications se sont produites dans son régime, que des populations qui ne subsistent que d’elle n’ont plus le droit de méconnaître.

Un exemple, entre vingt autres. Jadis, les migrations de la sardine se faisaient à des époques régulières et par des chemins qui ne variaient jamais. Le poisson abondait au même moment, dans les mêmes parages, comme une manne bénie. On savait la semaine, le jour et presque l’instant. Quelque ancien de la tribu, une sorte de voyant de la mer, grimpait, la veille, par des sentiers abrupts, au sommet du promontoire le plus avancé. De ses yeux d’aigle, habitués à plonger dans les lointains, il fouillait l’immensité, à peine éclairée des premières lueurs de l’aube. Et, dès qu’il avait surpris au large une tache violâtre marbrant le gris azuré des eaux, vite il courait annoncer aux barques déjà sous voiles la route suivre par le « banc. » Cet usage n’est point aboli ; mais les vieux d’aujourd’hui ont beau interroger la mer, ils n’en reçoivent que de décevantes réponses. La sardine, traquée, a adopté d’autres saisons et d’autres voies. Et, de la plupart des espèces de poissons, il en est de même : poursuivis avec une âpreté qui va croissant, à mesure que se perfectionnent les engins, ils