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long cours, les ailes ne leur ont pas plutôt poussé qu’ils s’envolent. Que s’ils reparaissent de temps à autre dans l’île natale, ce n’est que pour y construire un nid, épouser en hâte, et repartir.

— Leur troupe fugitive, me dit un ancêtre, ne perche parmi nous que comme les goélands.

A mesure que nous débarquons, le maire, un vénérable chef de clan, nous souhaite la bienvenue à la manière antique. Sa parole, son geste sont d’une gravité, d’une douceur et d’une noblesse toutes patriarcales. Derrière les « anciens » qui l’accompagnent, s’étagent en groupes harmonieux, semblables à des corbeilles de fleurs éclatantes, les îliennes ou, comme on s’exprime ici, les « îloises...» Un vieux maître au cabotage trégorrois, dont les récits ont enchanté mon enfance, ne parlait jamais des filles de l’Ile aux Moines sans qu’une sorte de béatitude extatique se répandît sur ses traits. Il n’avait fait relâche dans leur pays qu’une seule fois, il y avait de cela plus de trente ans, mais l’impression qu’elles lui avaient laissée demeurait dans sa mémoire de routier des côtes aussi vive, aussi fraîche, aussi enthousiaste qu’au premier jour. Il ne trouvait pas d’images assez brillantes pour les peindre.

— Figure-toi les princesses des contes, me disait-il, avec quelque chose de plus fier encore, une démarche plus souple et plus de beauté.

Tout n’était pas illusion et mirage dans ces effusions dithyrambiques du vieux caboteur. Les îloises ont vraiment un charme qui n’est qu’à elles. Qui ne les a point contemplées, ces patriciennes de la mer, ignore les exemplaires les plus parfaits de notre race. Elles ont je ne sais quelle élégance archaïque ; elles font songer aux « dames courtoises »> tant célébrées dans les antiques lais bretons :


Le corps gent et basse la hanche,
Le col plus blanc que neige blanche...


On a le sentiment qu’elles appartiennent à une autre forme de civilisation, qu’elles sont les héritières d’un long passé, d’une mystérieuse floraison de poésie et de rêve. Elles sont venues au-devant de nous en leurs atours des dimanches, et c’est merveille de voir avec quel art tout naturel et tout spontané la grâce du costume se marie à la grâce de la personne. La coiffe de fine dentelle, aussi légère qu’une résille, encercle le front comme