Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/449

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

national, apprêté à notre intention, tandis que, sur la place du bourg, les îloises, pour nous donner le spectacle d’une de leurs danses, déroulaient autour de la fontaine publique une farandole un peu traînante, mais d’un mouvement très noble, très chaste et presque religieux. Déjà les façades blanches des maisons se teintent de mauve, aux approches du soir. Un strident coup de sifflet retentit. C’est le Solacroup qui nous jette le signal du départ, de l’arrachement. Quelques minutes à peine nous séparent de Port-Hério, où il est au mouillage. Pour allonger le trajet, nous nous attardons à cueillir des asphodèles, dont les douves du chemin sont tapissées. Les jeunes filles, les enfans nous en offrent des gerbes ou les sèment par poignées sous nos pas. Toute la population s’est rendue sur la cale, et, pour gagner le steamer, à l’extrémité du musoir, il nous faut fendre ses rangs pressés. Les coiffes claires, les châles et les tabliers aux mille cou leurs forment comme un jardin de féerie sur la mer magnifique. Massés à l’arrière du Solacroup qui achève de virer de bord, nous saluons la foule et l’île entière d’un long adieu. Une clameur immense, des chapeaux qu’on lève, des mouchoirs, des ombrelles qu’on agite, nous répondent. Et c’est, en vérité, un instant inoubliable, auquel le déclin de ce beau jour d’été prête je ne sais quoi de plus solennel encore et de plus émouvant.

Nous sommes déjà sortis du dédale de l’archipel, qu’Izéna continue de nous apparaître au loin, comme dans une gloire, baignée par les dernières flammes du couchant d’une magique lumière d’apothéose ; et, quand, à son tour, elle s’est évaporée dans l’ombre violette du crépuscule, les chants du tailleur à mine de Korrigan sont là pour nous restituer son image, pendant que l’âme apaisée du Golfe s’exhale, dirait-on, vers les étoiles en un vague soupir éolien, infiniment voluptueux et doux.


ANATOLE LE BRAZ.