Pendant quarante années, Francisque Sarcey a passé toutes ses
soirées au théâtre, où il prenait soin d’arriver devant que les chandelles
ne fussent allumées ; il y est allé consciencieusement chaque fois que
ses fonctions l’y appelaient et retourné complaisamment d’autres fois
où nulle nécessité ne l’y obligeait ; il a fréquenté, même en été, les
salles de spectacle dont la fraîcheur lui paraissait alors délicieuse, et,
aux jours où décidément il devenait impossible de trouver dans Paris
désert des représentations théâtrales, il en est allé chercher dans les
provinces ; il a suivi les premières représentations, assisté aux reprises
et figuré dans les matinées ; il a revu vingt fois les mêmes ouvrages
avec des distributions à peine différentes, et sous des titres divers, il a
revu un nombre de fois incalculable la même pièce où des moyens qui
ne variaient pas produisaient des effets dénués d’imprévu ; devant les
spécimens d’un art qui ne se renouvelait guère, il a trouvé un plaisir
toujours nouveau, se laissant prendre par les entrailles, tantôt serré
par l’émotion et tantôt secoué par le rire ; il a, dans des feuilletons de
plus en plus copieux, raconté par le menu ce qui, de huit heures du
soir à minuit, se passe entre le côté cour et le côté jardin, analysé,
expliqué, commenté, discuté, approuvé, loué, blâmé des ouvrages qui
étaient proprement synonymes de rien, démonté des pièces de théâtre
comme on démonte des pièces d’horlogerie, disséqué des drames, débrouillé des vaudevilles, exposé des à-propos, disserté sur des comédies, raisonné la folie des intrigues les plus compliquées, pesé le néant
des inventions les plus saugrenues, souligné les défaillances, catalogué