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qu’il pourrait valoir par son poids ; il était myope, il se mit en devoir d’y regarder de près. Il se cantonna dans l’analyse minutieuse des pièces. Il avait été professeur. Combien d’autres se sont donné infiniment de peine pour racheter cette tare de leur passé, et se sont mis à la torture pour qu’on ne vît point passer le bout de la toge ! Sarcey au contraire. Il s’appliqua à parler au public et aux gens de théâtre, comme il parlait jadis à ses élèves dans sa chaire. Il fit un feuilleton, comme on fait une classe. A ceux qui auraient été tentés de l’oublier, il rappelait en toute occasion qu’il était un professeur.

Il soulignait ce trait de sa physionomie, aussi bien d’ailleurs que tous ceux auxquels il tenait qu’on ne se méprît pas. Il savait que la nature ne suffit pas et qu’il convient que l’art s’y ajoute, moins encore pour la corriger que pour l’accentuer. Simple en ses allures, il avait l’affectation de la simplicité. Brave homme, il s’était fait de sa bonhomie une attitude. C’était sa méthode d’insister, d’appuyer. Il connaissait trop bien le public pour ne pas savoir qu’il ne s’avise de rien par lui-même, et qu’il est indispensable de lui avoir signalé les choses qu’on veut qu’il découvre. A force de lui avoir entendu si souvent redire qu’il faisait son métier avec conscience, loyauté, sérieux, on en venait à oublier qu’après tout ces mérites ne sont peut-être pas si exceptionnels et qu’il y a beaucoup de gens qui vont régulièrement au théâtre, cherchent à renseigner le public plutôt qu’à briller aux dépens de leur auteur, racontent les pièces en détail, les jugent avec bonne foi, et ne s’en font pas accroire pour si peu. Mais s’acceptant lui-même tel qu’il était et se complaisant en lui, Sarcey faisait au public les honneurs de sa personne ; il les faisait avec un certain souci d’étalage et parti pris de grossissement. Il achevait ainsi son personnage, se composant une physionomie dont tous les reliefs étaient accentués. Il atteignait au type. Ce sera son honneur de rester comme le représentant attitré, et comme le type d’une certaine critique.

Cette critique se caractérise d’un mot : c’est celle de la foule. Supposez que la foule, au sortir du théâtre, eût pu prendre la plume et écrire un feuilleton : elle eût écrit le feuilleton de Sarcey. Nul n’avait encore été en aussi intime sympathie avec la moyenne des spectateurs et n’avait aussi complètement communié avec elle. C’est ici ce qui est particulier, nouveau même et original. Qu’est-ce que la foule va chercher au théâtre ? Que vaut une critique qui reflète exactement le goût de la foule ? Voilà ce que nous apprenons et ce qu’il y a quelque utilité à apprendre dans les feuilletons de Sarcey.

Par son tempérament d’abord, par ses origines, par sa formation