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intellectuelle, Sarcey était préparé à se trouver en accord avec la foule, j’entends avec celle qui se réunit dans les théâtres, y vient en payant sa place et fait les succès durables. Délicats, gens du monde, gens du peuple, sont une quantité négligeable, dans cette assistance éminemment bourgeoise. Sarcey est le bourgeois dans toute la beauté du terme et dans toute son horreur. Il est né de parens bourgeois ; il a reçu fortement l’empreinte de cette éducation universitaire où se façonne l’esprit de notre bourgeoisie ; il a connu la vie de province. Une qualité, chez lui, domine toutes les autres : c’est le bon sens. Il est judicieux, raisonnable, prudent et mesuré. Il aime avoir clair dans ses idées, et tout ce qu’il ne peut saisir d’une prise solide, il le dédaigne et il le néglige. L’ironie l’inquiète et le met mal à l’aise. Le paradoxe l’irrite. Il se plaît aux idées généralement admises, aux lieux communs et aux vérités qui crèvent les yeux. Le bon sens ne va pas sans quelque étroitesse ; pour bien comprendre certaines choses, c’est peut-être une condition de ne pas tout comprendre. Le bon sens confine à la vulgarité : Sarcey y était sauté à pieds joints et tombé de toute sa masse. Il fallait l’entendre expliquer les chefs-d’œuvre classiques par une méthode de transposition qui lui était chère. Il partait d’un certain nombre d’idées très justes : c’est que les personnages de notre théâtre classique ne sont pas seulement des gens du XVIIe siècle et qu’en modifiant le cadre et changeant la condition, nous retrouverions dans les sentimens qu’ils expriment nos sentimens d’aujourd’hui. Le malheur est qu’il abondait un peu trop dans son sens. Pour être plus sûr de ne pas laisser à ces personnages leur allure guindée de héros de tragédie, il en faisait de petits rentiers, de modestes débitans et prêtait à Horace ou à Polyeucte les propos, le ton, le genre d’élévation morale qu’on a coutume de rencontrer dans les arrière-boutiques. Jamais il ne se montrait plus jovial. C’était une parodie parfaite. Il n’y mettait pas de malice. Cette trivialité lui était naturelle. Le caractère bourgeois, chez lui, se complétait du tempérament gaulois. Les idées de Voltaire aperçues à travers celles de Béranger un tenaient lieu de philosophie. Il raffolait de Regnard. Il n’est personne dont il ait parlé avec autant de tendresse de cœur que d’Emile Augier, si ce n’est pourtant Labiche. Got fut son acteur de prédilection. Par ces sympathies, par ces opinions, par ce tour d’esprit, il incarne bien le bourgeois français, de condition moyenne, élevé au temps de Louis-Philippe.

D’une autre manière encore, Sarcey était l’homme de la foule. C’est une remarque bien souvent faite que les hommes assemblés ont des