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tels sont donc les moyens dont doit se servir tout auteur dramatique. Désormais il s’installe dans une conception de l’art dramatique fort particulière, mais qu’il croira valable pour tous les temps : fidèle aux admirations de sa jeunesse, il s’y tiendra. Et, sans dessein prémédité, il s’efforcera d’arrêter le théâtre à un moment de son développement et de l’y immobiliser. Nul n’a compris mieux que Sarcey la « formule » du théâtre de cette époque, celle qui consiste à mêler aux procédés scéniques de Scribe, les procédés du roman d’observation. Il l’a décomposée en tous ses élémens, il les a pesés, dosés, éprouvés. Il a puissamment aidé à la mettre en valeur, à en assurer la fortune et le bon renom. Il est fâcheux qu’en 1860, elle eût déjà produit le meilleur de ses effets, et que ceux mêmes qui l’avaient inventée s’efforçassent de s’en dégager. Alexandre Dumas curieux, inquiet, épris de nouveauté, s’éloigne chaque jour davantage de la formule du Demi-Monde ; Sarcey ne cesse de le rappeler aux bons principes. Émile Augier, d’esprit plus conservateur, s’en tient volontiers aux moyens qui lui ont déjà porté chance ; c’est avec lui que Sarcey se sent en pleine sécurité. A mesure que les années passent, la comédie de mœurs de 1860 se démode, le moule dans lequel on a jeté tant d’actes de prose et de vers se fatigue. On fait l’essai de recettes nouvelles. Sarcey s’attache de plus en plus à ses idées qui, avec le temps, se sont raidies, et figées. Il avait souvent répété qu’on n’enseigne pas à faire une bonne pièce de théâtre, et distingué les prétendues « règles » d’avec les « lois » du théâtre. Il ne songeait pas que ces lois doivent être souples et pouvoir s’élargir. Un genre qui ne se transforme pas est un genre mort. A partir d’une certaine date, Sarcey a fait défense à la comédie de se transformer. De bonne foi, il met un point à la ligne à l’endroit où le livre l’a le plus vivement intéressé. Il assiste, d’un air d’incrédulité railleuse, aux essais faits pour rajeunir la comédie. C’est avec une mauvaise humeur peu dissimulée qu’il suit des tentatives qu’il juge par avance frappées de stérilité. Il est tout chagriné par la vigueur sombre de M. H. Becque. Il ne voit guère chez ceux qui s’intitulent les « jeunes » que leur impertinence. Non content de s’opposer à l’envahissement des littératures étrangères, il met de la bonne volonté à ne pas les comprendre. En agissant ainsi, il donne un démenti aux plus chères de ses théories. Il a cessé de se mettre au goût du jour et de suivre la foule. Mais quoi ! la foule se rajeunit sans cesse ; celui qui en fut le porte-parole n’a plus son âge. Il représente maintenant le parti de la résistance. Le mouvement du théâtre se fait en dehors de lui. Il a cru pouvoir faire tenir le théâtre tout entier dans un moment fort particulier de