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son histoire et prêté une valeur absolue aux procédés usités par quelques hommes dont il avait vivement goûté le talent. Et peut-être par là son aventure ne laisse-t-elle pas d’être instructive : arrivé à l’étude du théâtre sans idées préconçues, ni théories toutes faites, et soucieux uniquement d’accommoder son goût au goût du public. Sarcey est devenu dupe lui-même de sa méthode, continuant de parler au nom du public alors que le public avait changé de goût, et restant fixé au même point sans s’apercevoir que l’époque l’avait dépassé et qu’il restait en arrière.

Pourquoi la foule va-t-elle au théâtre ? C’est pour s’y divertir et d’une certaine manière déterminée. Elle n’y va ni pour entendre la lecture d’un roman, ni pour assister à une conférence. Elle y veut trouver le genre spécial de divertissement que procure le théâtre. Le théâtre dispose de moyens qui lui sont propres. C’est un art d’imitation comme tous les arts, mais qui diffère de ceux-ci parce que l’imitation qu’il présente de la réalité, il la présente à une foule : « L’art dramatique est l’ensemble des conventions universelles ou locales, éternelles ou temporaires, à l’aide desquelles, en représentant la vie humaine sur un théâtre, on donne à un public l’illusion de la vérité. » L’illusion, voilà bien l’objet auquel tendent tous les procédés usités au théâtre : c’est une manière d’enchaîner les événemens d’après une certaine logique, de nouer l’action, de mener le dialogue, manière qui fait ici merveille et partout ailleurs semblerait inacceptable. En dehors de la peinture des caractères, de l’étude de la société, de l’analyse des sentimens, il y a un art de « bien faire « une pièce qui apparemment diffère de l’art de faire un bon livre. C’est dans l’étude des ressources de cet art qu’il faut chercher la définition même et la détermination spécifique du théâtre. C’est aussi bien ce que fait Sarcey. Ce qu’il demande à une pièce c’est d’être « du théâtre ; » c’est à ce point de vue qu’il l’étudie et la juge. Chez l’auteur dramatique, ce qu’il apprécie, ce n’est ni le moraliste, ni l’écrivain, ni l’homme d’esprit, mais c’est l’homme de théâtre. On naît homme de théâtre. C’est un don. C’est un caprice de la nature qui vous a construit l’œil d’une certaine façon. C’est une science innée d’optique et de perspective qui permet de dessiner un caractère, un personnage, une passion, une action de l’âme, d’un trait de plume. Pour tout auteur chez qui il a reconnu ce « don, » Sarcey a des trésors de complaisance. De même, parmi les genres dramatiques, il en est qui, décidément placés en dehors des conditions de la vie réelle et violemment conventionnels, n’existent que par l’emploi des moyens de théâtre : c’est