Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/519

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui touchent le cœur d’une mère. Il ne se résignait pas à n’être que le second. « Il vaut mieux, disait-il, être tête de souris que queue de lion. » Et ce sentiment l’eût rendu républicain, s’il ne l’avait pas été déjà, et très sincèrement.

L’étrange était qu’il se donnait ainsi les apparences et les torts d’une mauvaise ambition, sans être un véritable ambitieux. Inquiet plus qu’entreprenant, impétueux et non persévérant, ne sachant pas attendre, dans une inaction nécessaire, le développement des faits, toujours trop pressé, il se décourageait dès que le but paraissait s’éloigner et n’allait guère au delà des velléités. Brave matériellement et d’un sang-froid superbe, en face d’un péril quelconque sur terre ou sur mer[1], il manquait de l’audace d’esprit qui se risque aux hasards des résolutions suprêmes, et, en débarquant au rivage, il ne brûlait pas ses vaisseaux. Son énergie se dépensait en paroles : dès qu’il avait tempêté en arpentant à grands pas, selon sa coutume, son cabinet, il tournait court et partait en voyage, peu satisfait de ceux qui le pressaient de réaliser ses projets menaçans. « On ne peut pas parier sur lui, il ne franchit pas l’obstacle, » disait un de ses partisans, désappointé d’un de ces assagissemens subits.

Un véritable ambitieux, ayant eu la bonne fortune d’être le mari d’une femme d’une aussi exquise vertu et d’un aussi noble bon sens que la princesse Clotilde, l’aurait associée à son action et n’eût pas déroulé devant ses yeux, qui avaient la fierté de ne pas voir, une série d’unions interlopes. Un véritable ambitieux n’eût pas blessé à la fois les femmes par l’étalage de la liberté de ses mœurs, les prêtres par ses propos peu retenus, les soldats par son dédain des contraintes militaires, et n’eût pas tourné ainsi contre lui les trois influences sans lesquelles il est bien difficile d’obtenir chez nous certains succès. Un véritable ambitieux se fût rappelé que ce n’est pas de la langue qu’on frappe ses ennemis, et que les arrogances insultantes doivent être laissées comme dernière vocifération à la défaite impuissante. Un véritable ambitieux n’eût pas négligé cette règle élémentaire de l’ambition de

  1. Sur terre, l’année entière l’avait constaté à l’Aima. Sur mer, il fit nombre d’expéditions téméraires. La Comtesse-de-Flandres, sur lequel il était avec son fidèle serviteur Théodule et son ami le baron Brunet, fut coupée en deux par un abordage. Théodule disparait dans les flots avec l’avant du bateau. L’arrière s’affaisse et paraît sur le point de disparaître aussi ; le Prince serre la main de son compagnon de péril, et lui dit simplement : « Voici la mort ; pardonnez-moi, mon pauvre Brunet, de vous avoir amené ici. »