Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/521

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

TCHELOVEK

PREMIÈRE PARTIE

Devant la porte de l’hôtel, autant de voitures que pour un bal, bien que l’après-midi ne fasse que commencer. Dans ce joli coin des Champs-Élysées, les grappes d’or des cytises tremblent au soleil d’avril ; un parfum de lilas remplit l’air très doux où passe vivement par intervalles un coup de vent sec, rappelant que l’hiver n’est pas encore bien loin. Au ciel, gris d’argent, fouetté de nuages rapides, alternent les sourires et les menaces. Et les femmes se sont mises à la mode du ciel. Quelques-unes gardent leurs fourrures, d’autres sont en claires toilettes d’été, mais toutes, si différentes qu’elles soient d’ailleurs, se ressemblent par un trait commun, cette allégresse visible qui possède, on ne sait pourquoi, celles de leur sexe, aussitôt qu’il s’agit de mariage. À pas muets, comme les anges parcourant l’échelle de Jacob, elles montent et descendent sans relâche l’escalier recouvert d’un épais tapis et bordé d’une rampe de roses, pâles roses de serre qui déroulent un long cordon embaumé de la première marche jusqu’à la dernière.

Les portes sont grandes ouvertes en signe de bienvenue ; le printemps, avec toutes ses fleurs, est comme emmagasiné dans la longue galerie ; des palmes vertes s’élancent presque à la hauteur du plafond peint que traverse un vol d’Amours.

À l’entrée du hall s’efface la haie serrée des valets de pied, les manteaux de leurs maîtresses au bras. Ils saluent les premiers de réflexions cyniques, mâchonnées à voix basse, certaines entrées sensationnelles. C’est le moment des robes collantes et dégagées, dessinant les formes avec une indiscrète précision.