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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/561

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bien qu’il ne fût pas dénué de talens militaires, on a vu le peu de confiance qu’inspirait le généralissime. Quant au prince de Vaudémont, ce bâtard de Charles IV et de Béatrix de Cantecroix n’était pas non plus pour inspirer grande confiance. Lorrain d’origine, engagé un peu par hasard au service d’Espagne, son caractère intéressé et astucieux n’avait rien qui pût rassurer, sans qu’il faille cependant tenir pour tout à fait ressemblant le noir portrait qu’en a tracé Saint-Simon. Enfin, si le rang de maréchal que Catinat occupait depuis huit ans et ses glorieux services lui assuraient sans conteste la prééminence sur Tessé, simple lieutenant général, cependant ce dernier, toujours préoccupé de se pousser, n’était pas homme à voir sans mauvaise humeur un supérieur venir lui enlever un commandement sur lequel il avait compté pour se faire valoir, et Catinat, de son côté, à la fois par ses vertus et ses défauts, n’était pas non plus l’homme qu’il fallait pour venir à bout de la mauvaise volonté d’un subordonné. Il y avait donc, dans la composition de l’armée des Deux Couronnes, des causes de faiblesse, et dans le commandement, des germes de division qui allaient bientôt éclater au grand jour, et achever d’ébranler la fidélité déjà si chancelante de Victor-Amédée. Les lettres de Tessé, de Catinat, de Phelypeaux jettent un jour singulier sur ces divisions, et leur lecture suffit à expliquer les désastres de cette campagne[1].

La campagne était ouverte, les Impériaux, sous les ordres du prince Eugène, déjà descendus en Italie, et l’armée des Deux Couronnes ne s’ébranlait pas. « Il ne se fait rien de vif ici, » écrit à plusieurs reprises Tessé, et il dénonce le peu de bonne volonté que le duc de Savoie mettait à faire avancer ses troupes et à effectuer le traité « qu’il a fait de si mauvaise grâce et si à écorche-c… » Quand on le pressait, Victor-Amédée répondait que ses soldats n’avaient point de souliers. Les bataillons qu’il envoyait successivement ne rejoignaient l’armée qu’avec des détours

  1. Les lettres de Catinat et de Tessé ont été publiées, partie dans les deux ouvrages intitulés : Mémoires de Catinat et Mémoires de Tessé, partie dans le tome Ier des Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne, publiés par le général Pelet. Les originaux de la plupart de ces lettres sont au Dépôt de la Guerre. Celles de Phelypeaux, dont les originaux se trouvent aux archives des Affaires étrangères, sont inédites. C’est généralement des originaux que nous avons tiré nos citations, ainsi que des papiers de Tessé que nous avons eus entre les mains. Quelques-unes des lettres adressées par ce dernier à Chamillart ont été également publiées par l’abbé Esnault dans l’ouvrage intitulé : Michel Chamillart. Correspondance et papiers inédits (2 vol.).