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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/565

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altercation arrivait jusqu’à Versailles[1]. La Gazette d’Amsterdam s’en emparait ; l’Europe entière en était informée. La situation devenait intolérable, Louis XIV eut raison d’y mettre un terme. Pour expliquer la disgrâce de Catinat, pas n’est besoin, comme Michelet, d’accuser à la fois Mme de Maintenon et la duchesse de Bourgogne, la première, hostile à Catinat parce qu’il ne craignait pas Dieu, et la seconde parce que, dans des dépêches qu’elle se serait fait montrer, il aurait dénoncé la trahison de son père. Cette accusation portée contre la duchesse de Bourgogne, que l’auteur des Mémoires de Catinat[2] a été chercher dans la Vie de Catinat, par le marquis de Créqui, et que Michelet a reproduite, ne s’appuie sur aucun fondement. La duchesse de Bourgogne était à cette époque en pleine période de dissipation et de fêtes. Il n’est guère probable qu’elle prît communication d’ennuyeuses dépêches. Cela fût-il, elle se serait également fait montrer celles de Tessé. Or, comme nous le verrons tout à l’heure, c’est Tessé qui chargeait son père, également à pleine écritoire. Catinat est, au contraire, extrêmement modéré dans ses appréciations de la conduite du duc de Savoie. Il se borne à dire « qu’il y a des ressorts secrets qui lui font tenir cette conduite[3]. » Tessé n’en conserva pas moins les bonnes grâces de la princesse, et rien ne montre qu’elle soit intervenue pour précipiter la disgrâce de Catinat. La vérité, c’est que la retraite de Catinat, devant une armée inférieure en nombre, avait humilié Louis XIV. L’orgueilleux roi n’avait pas encore appris à reconnaître la valeur de l’homme avec lequel ses généraux allaient cependant se mesurer pour la seconde fois, de ce petit abbé de Savoie qu’il avait laissé si dédaigneusement quitter sa cour, le cœur ulcéré et altéré de vengeance. Le prince Eugène était alors dans la pleine maturité de son génie. Catinat n’était pas de taille à lui tenir tête. Comme l’a très bien dit Sainte-Beuve[4], « dans cette campagne, c’est un bon général qui a affaire à un grand capitaine. » Louis XIV eut le sentiment juste de l’insuffisance de celui qui commandait son armée, et,

  1. Voyez le récit, d’après Tessé, de cette altercation dans Saint-Simon, édition Boislisle, t. IX, p. 363. — Voyez aussi Dangeau, t. VIII. p. 180, et Sourches, t. VII, p. 107.
  2. L’ouvrage improprement appelé Mémoires de Catinat n’a pas été rédigé par le maréchal lui-même, mais par Le Bouhelier de Saint-Gervais, d’après les lettres et manuscrits conservés dans la famille du maréchal. La première édition a paru en 1816.
  3. Dépôt de la Guerre, Italie, 1514. — Catinat à Chamillart.
  4. Nouveaux Lundis, t. VIII, p. 476.