mettant cependant à la tête de son armée. Aussi, dès le début de la campagne, la mauvaise foi de Victor-Amédée est-elle évidente. Il ne souhaite pas la victoire des troupes françaises et espagnoles et ne fait rien pour la préparer. Mais il n’a point non plus de raisons pour souhaiter le triomphe des Impériaux, alors qu’il vient précisément d’être mis au ban de l’Empire. Son intérêt est que la guerre se prolonge, que les deux puissans voisins entre lesquels son petit État est enserré s’affaiblissent réciproquement, tandis que lui-même, en ménageant ses forces, pourra s’agrandir à leurs dépens. Telle paraît avoir été sa préoccupation dominante. Tessé n’a pas tort sans doute lorsqu’il dénonce ses lanterneries, ses ricaneries suspectes, son indolence léthargique. Mais il va trop loin quand il l’accuse explicitement de trahison, sur des preuves incertaines. Ces preuves, ce sont les nouvelles qui lui arrivent de Vienne et d’après lesquelles le prince Eugène aurait écrit à l’Empereur « qu’il étoit en commerce avec M. de Savoye et que l’on pouvoit tout espérer de ce prince pour le service de Sa Majesté Impériale[1]. « Mais ce n’est là qu’un on-dit, dont Tessé n’établit point le bien fondé. C’est encore l’arrestation d’un courrier, surpris sans escorte à trois heures de l’armée, par lequel Victor-Amédée avertissait le commandant de son troisième bataillon des gardes que Tessé était parti pour aller surprendre la place de Castiglione. Le prince Eugène aurait été averti de la surprise, car il avait jeté 1 500 hommes dans cette place pour la défendre. Mais l’arrestation de ce courrier que Victor-Amédée adressait à l’un de ses officiers ne prouve pas qu’il eût averti en même temps le prince Eugène[2], et celui-ci pouvait fort bien avoir été prévenu par un de ses espions, qui étaient nombreux.
Villeroy porte, il est vrai, les mêmes accusations que Tessé. En effet, il écrivait au Roi : « Sire, ce qu’il y a de bien terrible et qu’on ne peut s’empescher de mander à Votre Majesté, c’est la connoissance parfaite qu’ont les ennemis non seulement des partis, des détachemens et des mouvemens que fait notre armée ; mais ils savent d’avance tout ce qu’on pense et tout ce qu’on imagine[3]. » Mais Catinat, bien que très soupçonneux à l’égard du duc de Savoie, s’était montré beaucoup moins affirmatif. À en croire l’éditeur de ses Mémoires, il aurait bien dit un jour, en