Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/592

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre pour Phelypeaux lui-même, dans lesquelles Vendôme rendait compte du désarmement des troupes savoyardes opéré le 29 à San-Benedetto. En même temps, le bruit de ce coup de force se répandait dans Turin. Aussi ce dut être une curieuse audience que celle où, le lendemain, Victor-Amédée reçut Phelypeaux. Nous en avons le récit par ce dernier. Les courtisans consternés ne cessaient de se parler à l’oreille. Prié et Saint-Thomas étaient pâles et tristes. Victor-Amédée lui-même avait l’air abattu et défait. Imperturbablement Phelypeaux reprit la conversation au point où il l’avait laissée lors de sa dernière audience, et insista pour que, dans l’échange projeté, la ville de Nice fût comprise. Victor-Amédée s’y était refusé jusque-là, faisant valoir le grand nombre de ports de mer que possédait déjà le roi de France. Cette fois, il répondit assez laconiquement qu’il y réfléchirait, puis il ajouta, d’une voix altérée : « Il se répand, Monsieur, des bruits auxquels je ne veux point ajouter foy dans un temps où j’ay tout à attendre des bontés de Sa Majesté. » Phelypeaux, qui ne voulait point paraître informé, ne répondit rien. Quelques propos indifférens s’échangèrent encore entre eux, et Victor-Amédée se retira. Mais Phelypeaux ne fut pas dupe de ce calme apparent, et il terminait sa dépêche en disant : « M. le duc de Savoye prendra le parti le plus extrême et s’exposera à tous risques plutôt que de baiser la main qui vient de le frapper d’un coup si rude et si diffamant, quoy que si justement mérité[1]. »

Phelypeaux avait raison, et cette dépêche était la dernière qu’il devait lui être permis d’écrire. Le lendemain, Victor-Amédée prenait un parti violent, mais assez justifié par les circonstances. Il faisait arrêter tous les Français qui se trouvaient dans ses États, et Phelypeaux lui-même était étroitement resserré dans son ambassade avec interdiction d’envoyer aucun courrier. À ce procédé, Louis XIV répliquait on décrétant également d’arrestation tous les Savoyards qui se trouvaient à Paris, à l’exception des ramoneurs, et le comte de Vernon, prévenu fort courtoisement par Torcy au cours d’une promenade dans le parc de Versailles, voyait s’installer chez lui un gentilhomme, le comte de Liboy, « qui en usoit avec toute l’honnêteté possible[2], » mais qui avait mission de l’accompagner partout où il irait[3].

  1. Affaires étrangères. Corresp. Turin, vol. 112. — Phelypeaux au Roi. 2 octobre 1703.
  2. Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 134. — Vernon ù Victor-Amédée et à Saint-Thomas (1er octobre 1703).
  3. La captivité de Phelypeaux et la surveillance de Vernon devaient durer jusqu’au mois de mars 1704, époque à laquelle les deux ambassadeurs furent échangés. Dans un assez long mémoire, Phelypeaux a raconté ou fait raconter par un de ses secrétaires toutes les tribulations auxquelles il fut soumis. Ce mémoire a été publié au t. II, p. 8 des Mémoires de Tessé. Le texte manuscrit se trouve à Paris dans plusieurs dépôts publics, entre autres aux affaires étrangères. Corresp. Turin, vol. 114.