Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/606

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesure, parce que l’annexion « était fondée sur une conquête qui était la conséquence de la guerre, et dans laquelle le bon droit se trouvait du côté des vaincus, non du côté des vainqueurs. » Donc, on n’avait chassé les Cafres que pour les laisser aussitôt revenir à la frontière. En présence d’une politique aussi irrésolue, les Cafres devaient perdre ce qu’ils avaient encore de respect pour le gouvernement. Ils recommencèrent donc leurs anciennes rapines, et la situation des Boers en devint intolérable. Le gouvernement impérial réservait tous ses égards aux Cafres, sans tenir compte des griefs des Boers, qui restaient sans écho en dépit des plaintes et des pétitions.

Les choses en étaient arrivées à ce point qu’il était devenu impossible aux Boers de rester dans la colonie du Cap, et qu’ils ne virent d’autre parti à prendre que de s’éloigner. Ils le firent, non pas comme des conspirateurs, mais ouvertement, à la lumière du jour, et en faisant connaître les motifs de leur conduite. Le gouvernement eut beau mettre des entraves à leur exode, ils ne se laissèrent point détourner de leur dessein. On comprend que le gouvernement ne vît pas sans émotion la colonie menacée de perdre l’élite de sa population : aussi usa-t-il de toute son influence auprès des. magistrats et du clergé pour montrer tout ce qu’il y avait d’illégal et de périlleux dans une telle résolution. On fit même courir le bruit que le gouvernement pourrait empêcher cet exode en vertu de certaines dispositions législatives. Mais, de l’avis du procureur général, M. Oliphant, consulté par le gouverneur sir Benjamin d’Urban, il était impossible d’empêcher personne de quitter la colonie, soit en vertu des lois en vigueur, soit en vertu de celles qu’on pourrait promulguer : il estimait même que les Boers, hors du territoire britannique, auraient le droit de ne plus se considérer comme sujets anglais. Le lieutenant-gouverneur lui-même, sir Andries Stockenström, déclara, en réponse à une adresse, qu’il ne connaissait aucune loi qui pût empêcher les sujets de Sa Majesté d’abandonner le territoire de l’empire et de s’établir dans une autre contrée, et qu’une telle loi, si elle existait, serait tyrannique et oppressive. Les Boers pouvaient donc partir : leur projet de quitter en masse la colonie n’avait rien de séditieux ni d’illégal, bien que beaucoup de leurs adversaires les insultassent en disant qu’ils n’avaient d’autre but que de se soustraire aux lois et à l’ordre de la colonie et de massacrer et piller les Cafres, au pays desquels ils voulaient s’établir. Leurs