Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/649

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a fait fuir. Mais il est difficile de trouver un démenti plus net aux prédictions impressionnistes. Et devant les anciens maîtres de la Centennale : les Claude Monet, les Pissarro, les Sisley, voici que ce jeune maître de la Décennale apparaît comme le destructeur de tout leur système. Et si nous examinons les tableaux des autres jeunes, de M. Simon, de M. Griveau, de M. Guiguet, de Mlle Rœderstein (dans la section suisse), nous nous apercevrons que ce n’est pas une individualité ou deux qui abandonnent le sentier de l’impressionnisme, c’est une foule. Déjà, il y a cinq ans, cet abandon était noté par M. André Michel. Sa consciencieuse observation et son impartiale clairvoyance en relevaient les premiers symptômes[1]. Aujourd’hui, personne ne pourrait s’y tromper : l’impressionnisme appartient bien au passé. On peut donc sans injustice le comparer à toutes les écoles du passé.

Or, il faut bien l’avouer, si nous comparons les portraits que nous ont laissés ses meilleurs maîtres avec ceux d’Ingres ou de M. Bonnat, si nous rapprochons ces paysages, dans leur ensemble, des pages que nous ont laissées les Rousseau, les Corot et les Daubigny, si à ce mouvement qui dura trente ans, c’est-à-dire aussi longtemps que le mouvement romantique et qui fit beaucoup plus de bruit que l’école de Barbizon, nous demandons l’équivalent de ce qu’ont produit l’un ou l’autre de ces groupes, l’une ou l’autre de ces écoles, nous ne le trouverons pas. Ni ces portraitistes n’ont immortalisé, ni ces paysagistes n’ont exprimé, ni ces fantaisistes n’ont conçu, quelque figure humaine, quelque aspect de nature, quelque symbole d’humanité tel que le Portrait de M. Bertin, la Danse des Nymphes ou l’Homme à la Houe. En sorte que vouloir comparer l’impressionnisme aux grandes époques de la peinture française, l’opposer à ces écoles, le dresser contre leur enseignement, comme l’ont fait la plupart de ses panégyristes, c’est tout simplement conclure à son avortement.

Le maître impressionniste n’a pas paru. Car cette révolution, si révolution il y a, fut faite par beaucoup de pygmées et non par un géant. C’est la grande différence, en art, entre les révolutions d’autrefois et celles d’aujourd’hui. Autrefois ce qui était à la mode, ce qui était encouragé par la critique, ce qui était par conséquent le lot de la foule des artistes, c’était la routine ; aujourd’hui c’est l’innovation. Autrefois, par conséquent, il fallait,

  1. André Michel, Notes sur l’Art Moderne.