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Cette fois-ci, c’est l’Angleterre qui est en cause. La culture de l’indigo est l’une des industries agricoles les plus importantes de sa colonie de l’Inde. Le péril vient encore du côté de la chimie allemande. Elle a réussi à produire l’indigo artificiel ou synthétique, lancé par cette colossale entreprise, la Badische Anilin und Sodafabrik, dont on comprendra la puissante organisation par ce simple détail qu’elle occupe 4 000 ouvriers et qu’elle compte un état-major de 80 chimistes savans. C’est en 1897 que ce produit a été jeté sur le marché. La lutte n’en est donc qu’à ses débuts. On n’en peut préjuger le résultat. Cependant, d’après les renseignemens que nous empruntons à M. Jaubert. la seule nouvelle de l’entrée en scène de l’indigo artificiel a produit une émotion si considérable dans l’Inde que la culture indigène s’en est trouvée aussitôt réduite. La surface consacrée à cette exploitation, dans les provinces du Nord-Ouest de l’Inde et dans l’Ouah a immédiatement diminué d’un tiers. Les champs d’indigo qui, dans cette région, couvraient une superficie de 1 876 kilomètres carrés en 1896, n’en couvraient plus, en 1898, que 933 kilomètres. Déjà, des conseillers compétens exhortent les planteurs à remplacer l’indigo par le tabac.

Cependant l’issue de ce duel industriel ne semble pas aussi prochaine que tendraient à le faire croire ces premiers incidens. La culture de l’indigo naturel est, en effet, susceptible de perfectionnemens qui peuvent lui assurer une longue résistance.


Ce n’est pas le premier assaut qu’a eu à subir l’indigo naturel. Il est déjà sorti victorieux d’une lutte économique assez vive. Pendant près de deux siècles, il a été interdit dans toute l’Europe. En France, un édit de Henri IV, de 1610, en défendait l’emploi sous peine de mort : et c’est seulement après 1730 que l’importation en fut tolérée. L’interdiction n’était pas moins absolue dans les autres pays. En Angleterre, la reine Elisabeth en avait expressément prohibé l’usage. En Saxe, des édits de 1650 et de 1666 traitaient cette matière tinctoriale de diabolique. Dans le Wurtemberg, les teinturiers étaient engagés par serment à ne jamais s’en servir.

Ces entraves n’avaient d’autre but que de protéger, contre la concurrence, la substance rivale dont on s’était servi jusqu’alors pour la teinture en bleu, c’est-à-dire le pastel, l’Isatis tinctoria. C’est une plante herbacée, de la famille des crucifères, très