Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/743

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fléau de l’Allemagne ? Cet accroissement de la Prusse n’était pas de nature à inquiéter la France ; il ne s’agissait pas de réunir l’Allemagne sous une seule domination : l’ambition prussienne avait une limite nécessaire, le Mein ; elle n’allait pas au delà ; le Sud s’appartiendrait ou continuerait à graviter dans l’orbite de l’Autriche. La Prusse indépendante, dégagée de toute sujétion de la Russie ou de l’Autriche, deviendrait une alliée précieuse. Que de questions, Orient, Italie, même Pologne, insolubles aujourd’hui, se trancheraient par l’union du peuple de Napoléon et de celui de Frédéric ! Rien d’ailleurs n’empêcherait la France elle-même de s’arrondir, si elle le jugeait nécessaire à sa sécurité ou à son influence. Il ne pouvait être question des provinces rhénanes, qu’à aucun prix on ne lui céderait, auxquelles d’ailleurs elle avait la sagesse de renoncer, mais la Belgique était là, comme une proie toute prête. »

Il ne se risqua pas à insinuer quoi que ce soit qui ressemblât à une menace contre l’Alsace et se crut obligé même d’écarter tout soupçon. Revenant de Fontainebleau en compagnie de Maury, il lui dit qu’il était absurde de vouloir qu’une nation ne se composât que d’hommes d’une même race, que cela la privait des qualités de la race différente de la sienne : « Il vous est avantageux d’avoir l’Alsace qui est habitée par des Allemands, car lorsque vous avez besoin des qualités allemandes, vous les trouvez là. Il est avantageux pour la Prusse d’avoir la Posnanie, car lorsque nous avons besoin des qualités propres aux Polonais, nous les trouvons là[1]. » Il supposait que Maury répéterait ce propos à l’Empereur.

L’astucieux diplomate se gardait bien de dire, car cela eût obtenu moins de succès, que le dernier mot de sa politique serait, de façon ou d’autre, plus ou moins vite selon les hasards favorables ou contraires, de soumettre à la suzeraineté prussienne l’Allemagne tout entière, en deçà aussi bien qu’au de la du Mein, et d’en exclure totalement l’Autriche. Il avait encore plus garde d’ajouter que s’il lui convenait, tant qu’il serait faible, de cajoler la France afin de l’assoupir, il était résolu d’employer ses forces accrues à la braver, à se mesurer avec elle, à l’abattre, à lui prendre au moins Strasbourg, à l’abaisser au rang de puissance de second ordre.

  1. Mémoires de Maury.