de A… maccable de nouveaux projets à mesure que j’ai achevé l’examen des anciens… De Vienne jusqu’ici, je n’ai pas eu une seule minute pour me recueillir… Je comptais sur deux jours de far niente, mais je n’ai pu que me donner, hier matin, deux heures de promenade dans le bois ! Les ordonnances, la plume et l’encrier, les audiences, les visites, je ne sors pas de tout ce tintouin[1]. » Cela aux eaux, mais à Berlin, c’est pis encore : « Une véritable existence de forçat[2]. » Pour exprimer la lassitude et l’aversion qu’il en éprouve, Bismarck appelle à son aide tout ce que, dans sa mémoire de vieil étudiant batailleur et bursche, il raccroche de comparaisons classiques, de bribes de mythologie : le rocher de Sisyphe, la roue d’Ixion : « J’ai passé la journée tout entière à écrire, à dicter, à lire, à descendre, puis à remonter mon rocher de Sisyphe[3]… » — « La roue de travail accomplit chaque jour son évolution, et je ressemble assez exactement à un cheval de manège qui va, qui va toujours sans avancer d’un pas. Chaque jour une ordonnance arrive, chaque jour une ordonnance part, sans compter les dépêches de Vienne, de Munich et de Rome. Les dossiers s’accumulent, les ministres ne savent où donner de la tête ; et moi, du centre où je suis, il faut que j’écrive à chacun en particulier[4]. »
Point de lettres de la même date qui ne soient pleines du même dégoût et comme de la même colère rentrée, où ne perce l’insurrection de tout l’homme contre « la besogne » à laquelle il est attaché. Peu à peu, pourtant, il s’y fait ; dès le mois d’octobre 1864, étant de loisir et hors de l’atteinte des fâcheux, à Biarritz, il confesse : « La funeste habitude du travail a déjà jeté en moi de si profondes racines que ma conscience s’inquiète de ma fainéantise et que j’ai presque la nostalgie de la Wilhelmstrasse[5]. » Vers la fin de 1863, il semble que le pli soit pris et que, selon le proverbe, l’habitude soit devenue une autre nature ; à partir de 1866, plus de plaintes ni de récriminations de ce genre : Bismarck est saisi par son œuvre, entraîné par l’action ; le chaos des premiers temps s’est débrouillé, et l’Allemagne se crée.
De plus en plus, il va se réserver l’impulsion, la direction ; sans se désintéresser de l’exécution, il n’en gardera que le
- ↑ A Mme de Bismarck. — De Bade, 1er sept. 1864. — A. Proust, p. 191.
- ↑ A la même. De Bordeaux, 6 octobre 1864. — Ibid., p. 192.
- ↑ A la même. De Carlsbad, dans la soirée du 13 juillet 1865. — Ibid., p. 197.
- ↑ A la même. 12 juillet. — Ibid., p. 196.
- ↑ A la même. De Biarritz, 12 octobre 1864. — Ibid., p. 194.