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les surveiller. Ce qu’il a fait n’est qu’une imitation du Schwerin de la Wilhelmplatz, une action à effet[1]. »

Mais, si c’est ainsi que Bismarck apprécie de telles actions dans les rangs allemands, — dans son propre camp, — avec combien plus d’âpreté encore, quand elles viennent du camp ennemi, du côté français : alors l’injustice l’aveugle, et tout, à l’en croire, se réduit à des gasconnades : « Quelques-uns des héroïques exploits de ces défenseurs de Paris sont d’une nature si commune que les généraux prussiens ne les jugeraient pas dignes de mention ; d’autres sont de pures bravades, les autres enfin de complètes impossibilités… Tout cela serait parfaitement à sa place sur un théâtre des boulevards de Paris, ou bien dans un cirque, mais dans la réalité !… En vérité, cette liste d’ordres du jour fait bien le pendant des récits de bataille parus sous le titre de Toutes les gloires de la France, où le moindre tambour de Sébastopol et de Magenta a son portrait destiné à passer à la postérité, parce qu’il a battu le tambour[2]. » On a peine à reproduire cette page, qu’un Français ne peut d’ailleurs transcrire tout entière ; mais, de sang-froid, M. de Bismarck lui-même eût-il pu la relire, ou, s’il l’avait relue, l’aurait-il conservée ? Car, en battant le tambour, « le moindre tambour de Sébastopol et de Magenta » ne faisait-il pas précisément ce qu’il avait à faire ; n’y mettait-il pas, sans le marquer, et peut-être sans le savoir, cette part d’héroïsme qui est toujours dans le devoir bien et difficilement rempli ; quel cabotinage y avait-il dans le geste rapide, dans le mouvement commandé de ses bras remuant les baguettes ; et pourquoi n’eût-il point passé à la postérité, comme les autres, avec les autres, la seule condition qui doive être observée étant que chacun y passe à son rang, un Bismarck au sien, et au sien aussi le petit tambour ?

C’est, en somme, l’opinion du chancelier. Le jour d’une distribution de Croix de Fer : « Les médecins, dit-il, devraient l’avoir avec le ruban noir et blanc ; ils vont au feu, et il faut beaucoup plus décourage et de sang-froid pour s’exposer tranquillement à recevoir des balles et des boulets que pour charger l’ennemi. Blumenthal m’a dit qu’il ne pouvait pas la mériter, parce que c’était son devoir de se tenir loin du danger ; c’est pourquoi, dans

  1. Maurice Busch, Le comte de Bismarck et sa suite, p. 216, dimanche 6 novembre. — Cf. Ibid., p. 37 : Steinmetz au Reichstag.
  2. Ibid., p. 279-280, samedi 26 novembre.