le dire, ce fut son sentiment religieux, du moins un sentiment de même sorte, le respect de la vie, l’instinct impérieux du cœur, qu’il voulait retrouver dans la nature comme dans l’homme, et pour lequel Kant, on l’a vu, ne lui donnait qu’une réponse qui ne pouvait le satisfaire. Chose bien digne de remarque, Stein se garda de se lancer à pleines voiles, à l’exemple de tant de novices, dans la métaphysique de Schopenhauer. Il avait appris à le connaître et à l’admirer. Mais altéré de connaissances positives, comme Schopenhauer lui-même l’avait été à son âge, il ne pouvait se laisser séduire à ce mirage du monde réfléchi dans un cerveau ; ce ne fut que plus tard qu’il s’occupa sérieusement de Schopenhauer, et que, tout en gardant jalousement sa propre indépendance, il conçut pour lui une grande vénération. Et cet instinct, auquel je viens de faire allusion, que j’ai cru pouvoir qualifier de religieux, cet instinct le sauva : car pour un esprit porté à l’abstraction comme le sien, la philosophie pure et simple eût été un poison.
Une fois le cap franchi, Stein ne voulut voir, dans sa décision récente, qu’un changement de méthode, et non pas un revirement. Aussi écrit-il, dans le curriculum vitæ annexé, suivant l’usage, à sa thèse de doctorat : Philosophiæ, primum cum theologiâ, tum vero cum scientiis naturalibus imprimis physiologiâ conjunctæ, studio me dedi.
On voit que Stein prend très au sérieux ses études physiologiques. Je dois dire cependant, car ceci a son importance au point de vue de l’évolution de ses idées, qu’il se faisait, à ce sujet, de grandes illusions. En se jetant avidement sur les sciences, en espérant y trouver ce « roc vif » sur lequel il croyait pouvoir ériger sa philosophie, il se comportait encore comme un transfuge de la théologie. La liste complète des cours suivis par lui, que j’ai sous les yeux, me montre un plan d’études que je crois détestable. Le poète Novalis, géologue et ingénieur des mines, lui a été, sous ce rapport, très supérieur. Commencer par les livres de Darwin, de Hæckel, par les manuels d’anthropologie, ainsi que le fit Stein, cela ne vaut rien pour l’étude des sciences naturelles. Plus tard, à l’Université de Berlin, il ne suivit encore que les cours de mathématique, de haute physique, et, — si l’on me passe le mot, — de haute physiologie : physiologie du système nerveux, du cerveau, électrophysiologie, etc. Il ne se rendait évidemment pas compte d’un fait pourtant certain, c’est que la science de la Na-