dérable, qui parut au printemps de 1880 : les Origines de l’Esthétique moderne. C’est, dans ce domaine, son summum opus. La disposition en est des plus simples : il y raconte l’histoire de la pensée esthétique depuis Boileau jusqu’à Winckelmann. Mais cette indication ne laisse pas deviner la haute originalité du livre, unique en son genre, œuvre à la fois scientifique et littéraire. Stein a tout lu, — les auteurs français, anglais, allemands, italiens, suisses, — il connaît l’antiquité et est familier avec ce qui s’est fait en Europe durant notre siècle. Ainsi outillé, il ne construit pas un échafaudage artificiel, mais il poursuit un double but, qui pourrait sembler presque inconciliable, sinon contradictoire : il respecte l’individualité de chaque auteur, il se garde de le faire entrer dans la camisole de force d’un système préconçu ; et, en même temps, par une analyse d’apparence simple, mais au fond très subtile, il sait faire voir le réseau compliqué des influences que chacun subit et exerce. Il parvient ainsi à nous donner, de chaque penseur pris individuellement, une vivante image, et néanmoins il fait ressortir, avec un relief singulier, les élémens dominans de la race. C’est ainsi, par exemple, que nous voyons le grand groupe des Français, depuis les prédécesseurs de Boileau jusqu’à Marmontel et La Harpe, subir toutes sortes d’influences, italiennes, anglaises, allemandes, et n’en pas moins rester toujours Français ; de même pour tous. Jamais livre ne fut plus impartial ; il en est presque froid, et ce n’est que par éclairs, très rarement, qu’apparaît la flamme d’un patriotisme dont la correction académique recouvre, le plus souvent, l’ardeur partout présente. Ardeur d’amour, non de haine : le livre entier ne contient pas une expression qu’on puisse accuser d’injustice ou même de parti pris. Et, si Stein est resté Allemand, on ne saurait nier qu’il a beaucoup gagné à la fréquentation des auteurs français. Ce qui distingue leur style, j’entends le style des meilleurs, de celui des Anglais ou des Allemands, c’est, avec la clarté, une sobriété qui parfois touche à la sécheresse. Goethe, par momens, en approche : Stein, lui, en est tout pénétré ; et peut-être même est-il allé trop loin dans cette réaction contre le langage tantôt ampoulé, tantôt relâché de ses compatriotes. S’il eût vécu, on peut supposer qu’il eût appris à allier, à la simplicité dont les lettres françaises lui avaient donné le goût, la chaleur et le relief du style classique allemand. Et il y aurait toute une étude à faire sur le contenu du livre ; rien n’y est plus intéressant que l’analyse des liens qui
Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/857
Apparence