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espèce de travail, et qui ne trouvent rien ou presque rien, car de quel nom appeler ces emplois misérables, comme il en est tant, absolument insuffisans pour nourrir un homme, encore moins une famille ? On fait honneur au prince Bismarck d’avoir, le premier, parlé du prolétariat des bacheliers. Il ne manque pas, en effet, de gens instruits, auxquels l’avenir semblait assuré, et qui, avec tout leur savoir, ne font que végéter, moins heureux que le simple artisan qui peut au moins compter sur sa subsistance. Que plusieurs, par des prétentions folles ou de regrettables erreurs de conduite, aient compromis leur avenir, c’est possible, mais il est pourtant de ces prolétaires d’un nouveau genre qui eussent mieux mérité. Et si ces hommes en sont là, qu’espérer des sujets très inférieurs en instruction, générale et technique, de ces foules de gens, en quête d’un gagne-pain et sans métier ?

A côté des infortunés qui semblent de trop au monde et ne savent comment tirer parti de leurs aptitudes, il en est d’autres qui seraient assez bien partagés, n’était que, sur leur tête, est pour ainsi dire toujours suspendue l’épée de Damoclès du chômage. La campagne a bien aussi sa saison morte ; mais cette période est prévue, on l’attend, elle correspond à l’hiver, qui d’ailleurs oublie parfois de se faire sentir. Mais à mettre même les choses au pis, le chômage agricole est supportable à tous, aux propriétaires ou fermiers qui se contentent d’attendre tranquillement le retour de la belle saison, et aux journaliers des deux sexes qui, à côté des occupations de plein air, ont encore la ressource de certaines tâches sédentaires pouvant aider à leur entretien. Le chômage industriel est autre chose. Lorsque tout à coup la machine s’arrête, que la porte de l’atelier reste fermée ou que la grève éclate, peut-être pour des semaines ou des mois, de quels mots se servir pour rendre la tristesse et l’effroi de cette heure sombre ? Des familles jetées, du jour au lendemain, sur leurs insignifiantes économies, peut-être déjà empêtrées dans les dettes, cherchant en vain, les grands comme les petits, quelque occupation provisoire qui les aide au moins à végéter, et auxquelles on annonce, un matin, que le boulanger, l’épicier, le marchand de combustibles ont coupé le crédit, et qui luttent, et qui souffrent, et qui, après d’horribles combats, aussi cruels que le besoin lui-même, se verront obligées parfois, en désespoir de cause, de changer de carrière parce que le travail ne reviendra plus ; tout un peuple famélique à la merci de tous les risques, sans