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sécurité pour le lendemain, privé souvent du nécessaire le plus indispensable, quelle situation qu’une pareille agonie !

Que dire aussi de l’insalubrité de certains travaux et de celle du domicile ? Qui n’a vu de ces travailleurs de l’usine ou de l’atelier, épuisés par les longues heures passées dans leur étuve ou dans leur prison, et qui portent, gravés sur leurs membres, les signes peu équivoques d’une sénilité anticipée ? Qui n’a présentes à l’esprit ces filles de boutique qu’un usage barbare obligeait naguère, ou oblige encore plus ou moins aujourd’hui, là où le législateur n’est pas intervenu, à rester debout toute la journée, même sans nécessité aucune, ou ces ouvrières de l’aiguille astreintes, pendant certaines périodes, à des séances de nuit si prolongées que c’est miracle si leur système nerveux ne finit pas par s’y détraquer ? Comment parler de ces ménages installés dans des impasses étroites ou sur des arrière-cours, qui jamais ne voient le soleil chez eux et respirent un air empesté, dans lequel les adultes périclitent, tandis que les enfans y contractent les germes de maux qu’ils auront peut-être à traîner après eux toute la vie ?

Et nous n’en avons pas fini encore avec les maux inhérens aux agglomérations de quelque importance. L’alcoolisme sera là, comme il était déjà au village, mais à différens égards plus redoutable, car un homme pour qui l’apéritif, les consommations du café ou de la brasserie reviennent régulièrement, est plus dévoyé qu’un ivrogne qui rachète ses folies par des intervalles de sobriété. Voici, en outre, les spectacles de tout genre et de plus ou moins bon goût, la dissipation des fêtes et la vie des cercles, les mille pièges tendus à la vanité et à la sensualité, les mauvaises relations d’affaires ou de plaisirs qui font leur œuvre sourde jusqu’au moment où la victime tombe dans le gouffre. Voici les vagabonds et les criminels constituant une sorte d’association occulte pour tenir en échec le pouvoir de la loi. De même que l’on ne retrouve plus dans les centres populeux l’air salubre des champs, l’atmosphère morale y est aussi plus viciée.

Cependant, le désir d’enrayer l’exode des campagnes ne s’inspire pas seulement de raisons économiques ou morales. Au point de vue général, c’est une chose heureuse que la conservation de la classe importante des agriculteurs, attachés au sol dont ils vivent, ayant des intérêts positifs à sauvegarder et, par instinct, absolument hostiles aux entreprises subversives, aux casse-cou