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jours les grandes figures disparues. Leur patriotisme tout à fait respectable et légitime a nécessairement maintenu leurs études dans le domaine limité des faits et des événemens locaux et, si pénible que nous soit un tel aveu, nous devons bien reconnaître que seuls des écrivains étrangers aux goûts et à l’idéal flamands, — mais dégagés des partis pris particularistes, — ont examiné avec fruit l’évolution historique des écoles brugeoise et anversoise, ont donné à la Belgique les seuls ouvrages où les créations de ses peintres fussent étudiées avec une compréhension esthétique réellement évocatrice.

Parmi les productions des critiques allemands, anglais et français, deux livres surtout ont occupé l’attention du public et des spécialistes : celui de Taine : la Philosophie de l’art dans les Pays-Bas, et celui d’Eugène Fromentin : les Maîtres d’autrefois. Le premier, — dont il serait superflu de rappeler le mérite et l’élévation, — contient de graves erreurs, imputables à l’esprit systématique de l’auteur. Taine a répandu la superstition de la « note flamande ; » il a fait croire à plus d’un critique que l’art des Flandres et du Brabant devait être forcément sensuel et brutal ; il a discrédité les peintres du XVIe siècle, ou, du moins, il a donné du poids à cette opinion injuste, en nous montrant tous les romanisans « embourbés, » comme il le prétend, « dans l’ornière italienne. » Et cette dernière affirmation a certainement favorisé le développement inquiétant d’une doctrine tout à fait fausse, à notre avis : nous voulons parler de cette espèce de protectionnisme artistique qui rencontre aujourd’hui des champions prêts à condamner toute œuvre décelant une influence étrangère, tout artiste qui ne serait pas animé du plus intransigeant esprit de clocher. On ne saurait, à tous ces égards, s’exagérer l’influence des doctrines de Taine ; et ceux-là mêmes ne l’ont pas le moins profondément subie qui l’ont le plus combattue.

Un sort tout différent attendait le livre de Fromentin.

Les Maîtres d’autrefois sont considérés comme un modèle ; nous avons tous lu cette œuvre unique avec enthousiasme et attendrissement. Rubens et ses disciples y revivent en leur puissance souriante, leur simplicité cordiale, leur bonne grâce souveraine. Certes, Fromentin ne fut pas infaillible. Il ne connaissait sans doute la vie des maîtres anversois que par quelques manuels de vulgarisation. Il adopta le préjugé commun sur les romanistes. Mais peu importent ces ombres légères, puisque son