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fils. Pour exécuter ces portraits minutieusement détaillés, ciselés, l’artiste a dû séjourner à Milan pendant trois mois au moins.

Ne voyons-nous pas à la même époque les musiciens flamands émigrer tous vers l’Italie, y fonder des écoles : Tinctoris à Naples, Willaert à Venise, Obrecht à Florence ? Il est à remarquer que si les Italiens deviennent les disciples zélés de ces contrepointistes du Nord, c’est uniquement à cause de la supériorité technique des Flamands ; car la polyphonie de ce temps n’est qu’un savant exercice musical. À cause de leur science, peintres et musiciens flamands étaient partout accueillis comme des maîtres.

Il nous est donc permis de dire sans l’ombre de vanité patriotique que les peintres italiens du quattrocento s’empressèrent d’adopter la peinture à l’huile préparée suivant la formule de Van Eyck. Après Antonello de Messine, Domenico, Andréa del Castagno, ce furent les Bellini, les Pesellino, les Pollajuolo, les Verrochio, les Botticelli, les Ghirlandajo, les Mantegna, les Melozzo da Forli, — particulièrement les maîtres de l’école florentine épris de réalisme et plus aptes que les autres Italiens à comprendre nos gothiques. Les peintres ultramontains ne triomphèrent pas sans peine des difficultés de la nouvelle technique. Piero délia Francesca fut le premier, dit-on, qui employa avec légèreté la peinture à l’huile pour les portraits et les petits tableaux. De son côté Alesso Baldonetti l’appliqua le premier avec succès à la peinture murale. Dès que les Italiens se furent complètement familiarisés avec la méthode flamande, ils tirèrent de la peinture à l’huile un parti magnifique et imprévu. Non seulement leur technique changea, mais leur style, leur manière même de concevoir la peinture. Cette nouvelle révolution devait à son tour bouleverser tout l’art européen.

J’ai dit que les primitifs italiens, comme les miniaturistes et les gothiques flamands, peignaient leurs tableaux au moyen d’un pinceau fin, et traçaient, pour indiquer les reliefs lumineux ou certaines ombres dans les plis des étoffes, ces virgules colorées que les hommes de métier appellent hachures. Ce procédé est constant chez Cimabue, Giotto, Duccio, Memmi, Lippi, les Ambrogio, Sano di Pietro jusqu’à Fra Angelico, chez tous les artistes italiens qui peignent à la couleur à l’œuf ou à la gomme. Or, à partir du moment où la peinture à l’huile pénètre en Italie, les hachures disparaissent peu à peu des tableaux. Au commencement du XVIe siècle la méthode primitive est complètement