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Que de bruit pour deux couplets et trois tours de valse ! Le délicieux « Lauterbach » alsacien ne comporte ni même ne supporte cet orchestre fracassant. Et pour le dénaturer tout entier, pendant que la vulgarité de l’accompagnement en alourdit la grâce, le raffinement et la singularité des harmonies en corrompent le naturel et la simplicité.

Il semble vraiment que le matériel ou plutôt la matière de la musique se soit accrue au delà non seulement de nos besoins, mais de nos facultés. Elle asservit l’esprit qu’elle devrait servir et plus d’un, parmi les « jeunes maîtres, » subit une maîtrise qu’il se pique d’exercer. Inégaux à leur tâche, qui se multiplie et s’éparpille sans cesse, incapables d’arrêter la polyphonie ou de la réduire, ils succombent sous le poids et le nombre. Combien sont-ils à présent qui, de la foule des instrumens et des parties, dégagent ou seulement distinguent l’unité, l’individu lyrique par excellence, la parole ! Dans le drame musical, c’est elle qui souffre le plus aujourd’hui. Elle y est à la gêne et quelquefois au supplice. Tout ce qu’a gagné le génie de l’orchestre, faut-il que le génie de la déclamation l’ait perdu ! Sans doute, comme disait déjà Grétry, sans doute il y a chanter pour chanter et chanter pour parler. Dans le dernier cas, devenu si fréquent, il faudrait au moins que la parole fût entendue. Elle l’est rarement, pour ne pas dire jamais, et c’est encore une raison pour qu’on prenne plus de plaisir à lire le Juif Polonais qu’à l’écouter.

Le grand ou le gros défaut, au point de vue musical, du mélodrame d’Erckmann-Chatrian, c’est précisément d’être un mélodrame. Et, pour comble de misère, il ne l’est pas même par l’action ou l’intrigue, par le nombre et la complication des événemens, mais par la mise en scène et le spectacle seul. Le Juif Polonais a pour sujet, au lieu de faits nombreux et qui se passent, un fait unique et passé. De l’assassinat d’un colporteur par un aubergiste, les dramaturges ont tiré beaucoup moins une étude du remords, qui pouvait être psychologique et musicale, que la représentation matérielle d’un procès en cour d’assises. Tel est le centre ou le sommet de la pièce, le « clou, » peu solide, où pend ce mauvais tableau. La scène en question, que rêve le héros et que les spectateurs voient, est de celles où la musique n’a rien à faire. Aussi n’y a-t-elle rien fait. La meilleure partie du troisième acte est le prélude, une page serrée et sérieuse, et cela justement parce qu’elle est le prélude, parce qu’elle précède, au lieu de l’accompagner, la scène purement extérieure du jugement. Quant aux motifs produits à l’audience, — je parle des motifs musicaux, — c’est ailleurs qu’on peut les apprécier : au premier acte, où ils paraissent tous, associés