Elles sont aussi contraires que possible aux mélodies wagnériennes. Elle commencent, elles continuent, elles s’achèvent, tandis qu’on a pu dire assez plaisamment des mélodies de Wagner qu’elles ne font que durer. Au lieu d’être la mélodie infinie, les thèmes de M. Humperdinck sont des mélodies définies, fixées en des formes concrètes et comme plastiques de danses et de chansons, aisées à percevoir et même, ô honte ! mais honte délicieuse ! faciles à retenir pour les fredonner en sortant. Elles ne méprisent ni le rythme et la carrure, ni les couplets et les refrains. Avant de passer dans l’orchestre, de s’y mêler et de s’y dissoudre, elles existent par elles-mêmes, elles vivent d’une vie personnelle et remplissent leur destinée. Avant de se voiler, elles se montrent à découvert et ce n’est qu’après avoir joui de leur présence que nous sommes charmés par leur souvenir.
Elles font la joie de cette œuvre, une joie que, depuis Falstaff, la musique n’avait guère connue. Et cette joie est de plus d’une sorte, elle a ses nuances et ses degrés ; joie sans monotonie et surtout sans sécheresse, qui se fond, au second acte, en mélancolie souriante et en mystérieuse poésie. Le changement est sensible dans les mélodies elles-mêmes et, par exemple, dans le motif autour duquel s’enroule l’adorable scène du coucou. Pour une fois, ce n’est plus à Haydn, c’est à Schumann qu’on songe. Autant la musique était franche et tout en dehors quand elle accompagnait les jeux des enfans et leurs malices, autant, lorsqu’ils ont peur, elle rentre pour ainsi dire en elle-même et s’inquiète pour eux. Perdue elle aussi dans les bois, elle doute, elle flotte, et, charmante tout à l’heure de précision et de vivacité, elle l’est à présent de rêverie et d’incertitude. Mais cet émoi ne dure guère ; à part un ou deux accens de détresse enfantine, il ne va pas jusqu’à l’épouvante, et sur la fin du second acte, la cantilène de l’homme au sable et surtout la prière à deux voix, reprise et développée par l’orchestre, étendent la paix, qui n’est que la forme la plus pure, la plus sereine, et comme la perfection de la joie.
Cette joie désormais ne sera plus troublée. Elle perce, ou plutôt elle couve sous le rôle entier de Grignotte. Une bonhomie, que l’interprète a saisie et rendue spirituellement, égaie et fait aussi plaisans que terribles les thèmes de la chevauchée et de l’incantation. Elle éclate encore, cette joie, et peut-être de son éclat le plus vif, dans la valse chantée et dansée par les deux enfans devant le four où la sorcière s’est engloutie. Enfin les dernières pages sont radieuses. Je ne dirai pas que la musique ici dépasse le sujet ; mais elle l’emporte avec elle, assez haut. En cette histoire, sans doute, il n’y a pas l’ombre, ou, —-si