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sincère et profonde des menus faits de la vie quotidienne, — pour ne point parler de leur accent de passion, — que jamais ne serait parvenu à leur donner un faussaire, même le plus savant et le plus habile. Mais, en outre, leur authenticité vient d’être établie d’une façon absolument positive et formelle par un écrivain anglais, M. W. H. Wilkins, qui, le premier, a entrepris de « débrouiller leur chaos ». M. Wilkins a d’abord démontré, par la comparaison du texte manuscrit et de la version de Palmblad, que toutes les erreurs relevées par la critique n’étaient imputables qu’à la fantaisie du soi-disant éditeur : et il a ensuite contrôlé un à un tous les détails historiques signalés dans les lettres manuscrites, en comparant celles-ci avec des documens anglais dont personne, il y a trente ans encore, ne pouvait avoir connaissance. Il a retrouvé par exemple, aux Archives d’État de Londres, les rapports envoyés chaque semaine à Guillaume d’Orange par lord Colt, ambassadeur anglais à la cour de Hanovre : ces rapports, qui étaient tenus soigneusement secrets au moment où les papiers des comtes de La Gardie sont entrés à l’Université de Lund, et dont, par suite, aucun faussaire ne saurait s’être servi, concordent de tout point avec les lettres de Kœnigsmarck et de Sophie-Dorothée. On retrouve même, dans les lettres de Sophie-Dorothée, de nombreuses allusions à des projets de voyages, de fêtes, etc., qui n’ont pas eu lieu, et que Colt, de son côté, mentionne dans ses rapports à son gouvernement.

Les lettres de Sophie-Dorothée et de Kœnigsmarck sont tout à fait authentiques : aucun doute n’est possible là-dessus, après les savantes recherches de M. Wilkins. Nous savons d’ailleurs, par le récit de la confidente de Sophie-Dorothée, que celle-ci et son amant avaient l’habitude de confier la garde de leurs lettres à Aurore de Kœnigsmarck, n’osant point les conserver près d’eux, et n’ayant point le courage de les supprimer : seules les dernières lettres ont été confisquées par la police de l’électeur de Hanovre, et sans doute détruites, au lendemain du meurtre de Kœnigsmarck : et en effet elles manquent, comme manquent, aussi, beaucoup de lettres de Sophie-Dorothée, que les deux amans auront jugées trop compromettantes, et brûlées sitôt lues. La correspondance est Incomplète, fragmentaire, sans cesse interrompue par de grosses lacunes ; on y rencontre des réponses à des questions qu’on ne connaît pas, et des questions dont la réponse est perdue : jamais une correspondance manuscrite n’a porté à un plus haut degré tous les caractères matériels et moraux de l’authenticité.

Et comme cette correspondance est écrite en français, nous ne pouvons trop regretter d’en être réduits à la lire dans la traduction