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part et la question de l’amnistie de l’autre seront soumises à la Chambre en séance publique, elles y seront résolues dans le même sens que dans les bureaux ? Il serait téméraire de l’affirmer. Alors, en effet, on votera par scrutin public au lieu de voter par scrutin secret, et toutes sortes de préoccupations, qui n’ont aucun rapport avec le courage civil, reprendront peut-être le dessus. Ainsi va le monde parlementaire, et nous ne donnons pas cela comme un modèle.

L’amnistie, avons-nous dit, a été votée par le Sénat. Mais est-ce bien amnistie qu’il faut dire ? Le gouvernement a tantôt donné ce nom à son projet, et tantôt le lui a refusé pour l’appeler plus longuement, mais plus confusément : loi sur l’extinction de certaines actions pénales. Lorsque M. le président du Conseil avait besoin de tirer du projet certaines conséquences juridiques, par exemple le transport d’une affaire d’une juridiction à une autre, il disait volontiers amnistie. Mais lorsque l’opposition, partant à son tour de l’idée de l’amnistie, cherchait à en tirer les conséquences morales et politiques, le gouvernement et la commission levaient les bras au ciel et s’écriaient à l’unisson : Il ne s’agit pas d’amnistie ! Une discussion ainsi conduite devait être naturellement embrouillée, et nous avons d’autant moins la prétention d’en démêler tous les fils que, si par miracle nous y réussissions, on cesserait d’en avoir une impression exacte. La différence fondamentale entre le gouvernement et la commission est que le premier voulait borner l’effet de sa loi à l’affaire Dreyfus, tandis que la seconde voulait l’étendre aux condamnations prononcées par la Haute Cour. Le gouvernement a tout fait pour restreindre l’amnistie, et l’opposition pour l’élargir. C’étaient deux points de vue absolument opposés.

Amnistie ou non, le projet du gouvernement ne s’appliquait pas à Dreyfus. Celui-ci a été l’objet d’une condamnation définitive. En ce qui le concerne, il y a chose jugée : le projet ne vise que les actions encore pendantes ; il éteint les actions pénales et maintient les actions civiles. Pourquoi ? Parce que la procédure des affaires civiles et les conditions dans lesquelles elles se poursuivent n’ont ni le retentissement de la cour d’assises, ni la mise en scène, fertile en incidens, qui se produit devant celle-ci : or c’est dans ces incidens que les partisans d’une reprise de l’affaire Dreyfus espèrent trouver un fait nouveau. Aussi ont-ils livré au Sénat une véritable et vigoureuse bataille contre l’amnistie, dans laquelle ils ont vu un moyen peu loyal de leur enlever une dernière chance. Mais ils ont été battus. Au dernier moment même, quelques-uns d’entre eux sont venus expliquer à la tribune