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de l’amnistie. Sans doute, la pression gouvernementale pourra modifier cette majorité dans une discussion et dans un scrutin publics. Mais le vote primitif n’en restera pas moins comme l’indication d’un vœu spontané auquel, un peu plus tôt ou un peu plus tard, il faudra bien accéder. À notre avis, le plus tôt sera le mieux.

La discussion du Sénat a duré deux jours : celle de la Chambre pourrait bien durer davantage, et même tourner différemment. Parmi les incidens qui se sont produits au Luxembourg, nous n’en signalerons qu’un. M. Joseph Reinach, s’attendant à être attaqué sur un fait qu’il prétendait inexact, avait écrit à M. le président du Sénat une lettre de protestation. On lui reprochait d’avoir envoyé de Rennes à un journal étranger, pendant le procès du conseil de guerre, un télégramme qu’il n’avait pas pu écrire, car il n’était pas à Rennes à ce moment. Le fait a été articulé par le général Lambert. Aussitôt M. Fallières a coupé la parole à l’orateur et a donné lecture de la lettre de M. Reinach. C’est là un fait sans précédent. Nous comprenons d’ailleurs le sentiment auquel M. Fallières a obéi. Il y a quelque chose d’excessif dans cette extrême liberté parlementaire, couverte par une immunité juridique, qui permet à un orateur de prendre à partie un absent. Celui-ci se trouve naturellement dans l’impossibilité de répondre, ou, s’il répond, c’est tardivement. Mais, que deviendront les débats de nos Chambres si les tiers qui n’en font pas partie peuvent y prendre part, fût-ce même pour des faits personnels ? Nous ne disons pas cela pour M. Reinach : ce n’est pas parce qu’elle était de lui que sa lettre a été lue. Dans le cas contraire, il faudrait protester contre une aussi étrange exception. Mais, dira-t-on, M. Fallières aurait fait pour tout autre ce qu’il a fait pour lui. Alors, on voit où cela peut conduire. A un abus, on répond par un autre, et nous ne savons quel serait, à la longue, le plus dangereux des deux. Le seul remède serait dans la discrétion des orateurs : ils devraient toujours s’abstenir de mettre en scène un absent, du moins lorsqu’il ne s’agit pas d’un acte public, ou d’un document authentique émanant de lui. Dès que ces convenances cessent d’être respectées, on aboutit à l’une ou à l’autre de ces deux conséquences : ou l’absent a toujours tort puisqu’il ne peut pas parler ; ou bien, il parle par procuration et le caractère même des débats parlementaires en est faussé. Il faudrait bientôt donner un portefeuille aux présidens des Chambres pour contenir toutes les lettres de protestation préventive ou rectificative qu’il leur seraient adressées !

La guerre du Transvaal est entrée depuis quelques jours dans une