Mais telles étaient encore les désillusions et les amertumes causées par le désastre de Saint-Domingue, telle était la force dos préjugés contre la race noire, que dans cette assemblée où le duc de Broglie comptait tant d’amis, quatre ou cinq pairs seulement[1] firent écho à sa voix : les ministres de la Marine et des Finances parlèrent contre le projet et tirent voter l’ajournement.
Le duc de Broglie fut plus heureux sur un autre terrain, il réussit à intéresser à cette cause la Société de morale chrétienne, qui avait pour but de rapprocher des hommes de toute confession sur le domaine pratique et qui comptait parmi ses membres Auguste de Staël, Guizot, Stapfer. La société forma un comité pour l’abolition de la tfaita (1822), qui révéla des détails atroces sur l’organisation des navires négriers, à Nantes, et publia en français les enquêtes du gouvernement anglais sur les faits de traite, commis par des navires français. Il en ressortait que ce trafic abominable continuait clandestinement, malgré son abolition officielle. En vain deux ordonnances de Louis XVIII, rendues en 1817 et 1818 avaient prononcé l’interdiction de tout capitaine et la confiscation de tout navire qui se livrerait à ce trafic. En vain, le baron de Mackau avait été envoyé au Sénégal, pour vérifier certains faits de traite, signalés par le gouvernement anglais. Ces sanctions étaient insuffisantes.
Le duc de Broglie revint à la charge et dénonça à la Chambre des pairs les procédés des négriers conune .des crimes qui méritaient l’exécration des amis de l’humanité[2]. C’est à son instigation que furent dus les deux premiers actes qui portèrent les coups décisifs à ce fléau. Une ordonnance de Charles X (25 avril 1828) punissait du bannissement et d’une amende égale à la valeur de la cargaison, l’armateur, le capitaine et les officiers des navires qui auraient transporté des nègres ; et la loi du 4 mars 1831, rendue sous Louis-Philippe, aggravait les peines, en remplaçant l’exil par les travaux forcés, de 5 à 20 ans suivant le degré de culpabilité. Ces lois furent complétées par des conventions conclues avec la Grande-Bretagne en 1831 et 1833 et qui, en accordant le droit de visite réciproque sur les navires battant pavillon de l’une et l’autre nation, permettaient de les appliquer effi-