Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette Commission, dont la présidence fut confiée à juste titre au duc Victor de Broglie, décida tout d’abord de ne s’occuper que de la question de l’esclavage. Elle prit pour point de départ les conclusions de M. de Tocqueville à la Chambre de 1839, que le ministre avait adoptées, entendit un bon nombre d’anciens planteurs et magistrats coloniaux, et, après des travaux approfondis qui durèrent trente-deux mois, présenta son rapport au ministre de la Marine (mars 1843)[1].

Le duc de Broglie commençait par constater, au nom de toute la Commission, que le moment était venu de faire cesser l’état d’incertitude au sujet de la question qui régnait aux colonies et qu’il fallait amener l’émancipation. Il partait de ce double principe : il faut accorder aux propriétaires d’esclaves une indemnité raisonnable et ménager la transition de la servitude à la liberté, en préparant les noirs à en user sagement. Ici la Commission se divisait en deux opinions.

La majorité se prononçait pour l’émancipation simultanée, avec un délai de dix ans, pour y préparer les noirs. À dater du 7 janvier 1853, l’esclavage cesserait d’exister dans toutes nos colonies. On devait, tout en les maintenant dans la condition d’esclaves, c’est-à-dire sous l’autorité de leurs maîtres, prendre de sérieuses mesures pour les éduquer, les encourager au mariage et au travail : à cet effet, les articles V à XII du projet de loi leur accordaient la capacité d’acquérir des biens meubles, de les gérer et de les transmettre à leurs héritiers ; tout esclave pouvait racheter les années de travail gratuit, à prix débattu. Le projet de la minorité consistait dans une émancipation partielle et progressive. Elle déclarait libres les enfans, nés de parens esclaves, depuis le 1er janvier 1838, dans les colonies françaises et ceux qui naîtraient à l’avenir, ainsi que tous les noirs invalides ou atteints d’infirmités incurables. Mais l’émancipation générale et définitive de tous les esclaves n’aurait lieu que dans vingt ans (1863). Le rapport examinait en outre la question de l’esclavage au point de vue de l’ordre public, de l’intérêt des colons et du maintien de notre système colonial.

Ce projet, abandonné en 1844, fut repris le 5 février 1845 et discuté par les Pairs du 3 au 11 avril ; puis à la Chambre des

  1. Procès-verbaux de la Commission instituée par décision royale du 26 mai 1840, pour l’examen des questions relatives à l’esclavage et à la constitution politique des Colonies. Paris, 1843.