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députés (29 mai au 3 juin), et ne fut voté qu'après de très vives controverses. Les adversaires de la loi, le baron Ch. Dupin entre autres, prétendaient qu'en l'adoptant, on avait l'air de subir l'influence de l'Angleterre et qu'on désorganiserait le travail dans nos colonies des Antilles, déjà si éprouvées. Les partisans au contraire, tels que le comte Beugnot, rappelaient certains articles rigoureux du Code noir et démontraient l'insuffisance des demi-mesures. M. J. de Lasteyrie, rapporteur de la Commission à la Chambre des députés, aux considérations tirées du sentiment d'humanité ajouta des raisons de prudence politique. « En cas de guerre, dit-il, il n'y avait aucune sécurité à espérer désormais pour nos colonies à esclaves, ni pour nos flottes qui y auraient été chercher un refuge, et l'ennemi pouvait être certain d'y trouver une population prête à se soulever à sa vue. Et même en temps de paix, la situation n'était pas rassurante, car les nègres de nos colonies avaient à côté d'eux l'exemple de voisins plus heureux qui excitait leurs désirs. » La loi fut enfin votée le 18 juillet 1845. Elle eut pour corollaire une ordonnance du roi Louis-Philippe (21 juillet 1846), qui affranchissait les esclaves appartenant au domaine de l'État.

Désormais, la voie était frayée, qui devait mener à l'émancipation définitive des noirs. Il était réservé à la République de 1848 de couronner l'édifice, si laborieusement préparé par la monarchie de Juillet ; c'est à Victor Schœlcher, l'apôtre infatigable de l'abolition, que revient ce mérite[1]. À peine le gouvernement provisoire de 1848 eut-il été installé qu'il redoubla d'instances auprès de ses membres, surtout auprès de F. Arago, ministre de la Marine et des Colonies, pour obtenir un acte décisif. Ses efforts furent couronnés de succès. Par le décret du 4 mars, dont nous avons cité plus haut le considérant, était instituée une commission, chargée de préparer dans le plus bref délai l'acte d'émancipation immédiate des esclaves, dans toutes les colonies de la République. Cette commission, présidée par Victor Schœlcher et qui prit pour secrétaire M. Wallon[2], prépara les lois du 27 avril et du 4 novembre, qui abolirent définitivement l'escla-

  1. Schœlcher, Histoire de l'Esclavage dans les deux dernières années. Paris, 1847, 2 vol. in-8o.
  2. M. Wallon venait de composer sa savante Histoire de l'Esclavage dans l'antiquité (Paris, 1848, 3 vol.), avec une magistrale introduction sur l'esclavage aux colonies.