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dénouement. Le monde ne cesse pas de marcher et d’évoluer, laissant au passé ce qui lui appartient, et ouvrant presque à l’infini des perspectives et des voies nouvelles. Il serait téméraire de vouloir dire quelle sera la solution finale des événemens qui se poursuivent en Extrême-Orient. Mais la solution de demain, quelle qu’elle soit d’ailleurs, sera provisoire. Nous sommes encore très loin de faire en Extrême-Orient des traités de Westphalie.

Restons dans le présent. La première question qui se pose est de savoir si l’explosion qui vient de se produire en Chine a été vraiment aussi subite qu’on l’a cru d’abord en Europe. Est-ce que rien ne l’avait annoncé ? Est-ce que rien ne l’avait fait pressentir ? On serait porté à le penser, à en juger par l’étrange inertie dans laquelle tous les gouvernemens sont restés. Et nous ne parlons pas seulement du nôtre. Si un est coupable, ils le sont tous : on ne saurait faire, à ce point de vue, aucune différence entre eux. D’après les informations qui commencent à circuler, rien n’a été moins imprévu pour ceux de nos compatriotes qui habitent l’Extrême-Orient, et surtout pour nos agens diplomatiques et consulaires, que le mouvement dont nous sommes témoins. Il était préparé, il était même commencé depuis plusieurs mois ; et, s’il a pris tout à coup une accélération redoutable, on aurait tort de l’attribuer à une espèce de génération spontanée. Les tendances de la vieille impératrice étaient parfaitement connues. On savait quels conseils de fanatisme et de violence agissaient sur son esprit, si bien disposé à les recevoir. Enfin, des mouvemens partiels s’étaient déjà produits dans les provinces, et le péril général qu’ils manifestaient n’échappait pas à des observateurs bien placés. Les gouvernemens ont été avertis. Pourtant, aucun ne s’est ému ; aucun n’a pris la moindre précaution pour se trouver prêt quand éclaterait la crise. Ils ont tous paru surpris, et voilà pourquoi tout le monde l’a été autour d’eux. Comment expliquer cette indifférence au moins apparente ? Il y a, chez tous les gouvernemens, une prédisposition naturelle à ne croire leurs agens qu’à demi, lorsqu’ils annoncent des choses désagréables. Les gouvernemens, qui reçoivent des informations de tous les côtés à la fois, se regardent volontiers comme beaucoup mieux éclairés que des agens qui ne le sont que sur un point particulier : ils ne songent peut-être pas assez qu’au moins sur ce point particulier, leurs agens peuvent l’être mieux qu’eux. Ils se rassurent aussi en constatant le calme et la placidité de leurs voisins. (Ils pensent enfin qu’ils seront toujours à temps de pourvoir au danger lorsqu’il éclatera, et qu’à le prévoir de trop loin, on risquerait de perdre la liberté d’esprit