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l’épanouissement et quels cordiaux épanchemens ! Le pèlerin de Beblenheim gémissait, avec ses frères transalpins, sur l’ajournement des États-Unis d’Europe, sur les armées permanentes, et toujours, en les quittant, il était plein d’admiration pour ce génie italien, « qui se pliait à la marche prudente de la Ligue. »

Car Macé, dépouillant au delà des frontières ce je ne sais quoi de cauteleux auquel il se croyait contraint par le régime impérial, expliquait aux frères exotiques la prudence calculée de sa marche. Il y avait des maçons, en France, qui ne voulaient pas comprendre : François Favre, par exemple, qui, dans le Monde Maçonnique, le soupçonnait de tiédeur ; Hendlé, de la loge l’Ecole mutuelle, que contristait fort la « modération politique » de Macé ; Foussier, ce « trinosophe de Bercy, » qui lui rappelait en quelques lignes hautaines ses dettes envers la maçonnerie ; M. Isaïe Levaillant et ses jeunes amis de la Société de la Jeunesse libérale, qui semblaient craindre, par instans, qu’ayant appris, grâce à la Ligue, la lecture et l’écriture et ne recevant d’elle aucune doctrine positive, les futurs électeurs ne devinssent une arme aux mains des partis rétrogrades. Macé, de son mieux, les faisait tous patienter ; et les frères étrangers auxquels il confiait ses ultimes arrière-pensées savaient que cette patience serait un jour récompensée : « Les 3 800 instituteurs appartenant aux ordres religieux, lui écrivait un maçon de Bade, feront encore assez de mal en France. Vous ne touchez pas à cette corde, et vous avez raison. Le temps viendra où votre Ligue changera de but. »

Macé chérissait la maçonnerie badoise ; il rêvait qu’elle pût, de concert avec la maçonnerie alsacienne, devenir comme le noyau d’où sortirait la paix du monde. Il eut à cet égard, en 1867, de puissantes illusions dont l’histoire jette un jour curieux sur les relations internationales des loges d’alors : cette page fort peu connue de la biographie de Macé mérite d’être racontée.

C’est vers la fin de la monarchie de Juillet qu’avaient été forgés, entre loges françaises et loges badoises, les premiers anneaux d’une chaîne d’union : un congrès maçonnique franco-allemand, tenu à Strasbourg en 1846, avait solennellement décidé de réclamer des loges prussiennes une tolérance plus fraternelle à l’endroit des Israélites, d’ordinaire exclus. Ce premier contact avait gravé dans certaines âmes d’Alsace un souvenir attendri ; et lorsqu’en 1867 la question du Luxembourg obscurcit l’horizon politique, Jean Macé crut que la maçonnerie rhénane était appelée à