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pas une véritable abomination que de penser qu’un roi, un empereur, au lieu de surveiller les affaires de son pays, d’encourager le commerce, de répandre l’instruction, la liberté et les bons exemples, vient nous réduire par centaines de mille en cet état ? » et il souhaite « que le Seigneur nous débarrasse de la gloire des armes pour les siècles des siècles. » Sainte-Beuve avait un mot cruel pour définir l’œuvre d’Erckmann-Chatrian ; il l’appelait l’Iliade de la peur.

Et sous la poussée de ces livres, partout colportés par une discrète propagande, reculaient et s’évanouissaient, dans la mémoire nationale, les souvenirs de l’autre Iliade, de celle dont Napoléon avait été le héros, de celle qu’avaient célébrée, jusqu’en 1850, les vers inoubliables d’Hugo, de celle enfin dont des milliers de vétérans, épars à travers la France, s’étaient longtemps faits les aèdes. Charras, Lanfroy, Jules Barni surtout, dans leurs écrits consacrés au premier Empire, épluchaient cette autre Iliade avec un acharnement étrange : l’histoire jugera, plus tard, s’ils furent ou non des Zoïles.

C’est ainsi qu’une nombreuse « littérature, » historique, romanesque, dramatique, enseignait au peuple français les méfaits de la gloire. On appelait cela l’instruire : le mot est de M. Ferdinand Buisson. Il publia dans une revue suisse : Die Vereinigten Staaten von Europa, un article intitulé : La suppression de la guerre par l’instruction. L’article parut en deux langues, en français et en allemand : la version allemande, seule, nous a été accessible. La thèse avait la rigueur d’un syllogisme.

Du jour où le genre humain se refusera à fournir de la chair à canon, il ne peut plus y avoir de guerres, ni générales ni locales : telle était la majeure.

Or voici la mineure ; on y devine, tout de suite, le pédagogue futur : l’un des moyens d’action les plus efficaces sur le genre humain, c’est l’instruction.

Donc, — retenons la conclusion, — pour faire contrepoids à ce catéchisme où l’on apprend à adorer le Dieu des armées et à chanter le Te Deum, il importe d’établir un système d’instruction qui visera, par mille petits moyens, à expulser des jeunes cerveaux le militarisme césarien, à flétrir les grands tueurs d’hommes, à leur arracher l’auréole qu’un Thiers et qu’un Béranger leur ont laissée, « à faire passer à l’état de vérité généralement comprise cette idée, que tout homme a le droit et